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Visite du pape François : « Les Irakiens ont besoin de symboles »

La Presse

Le pape François est arrivé vendredi en Irak pour une visite historique de quatre jours dans ce pays où une situation sécuritaire instable se couple à une haussegalopante des cas de COVID-19. Le souverain pontifesouhaite lancer un message d’espoir à l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde, qui fond à vue d’œil depuis quelques dizaines d’années.

 

(Erbil, Irak) Pour Ramy Kinoo, un catholique chaldéen de 33 ans qui réside à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, la vie serait meilleure au Canada. Il a entamé des démarches pour s’y installer, idéalement à Toronto, où il connaît des gens.

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« Là-bas, il y a la paix, explique-t-il. Il y a aussi la liberté d’expression, et la cohabitation est meilleure. »

 

Il a fui Bagdad en novembre 2004, avec ses parents et son frère, devant la menace d’Al-Qaïda. « Les chrétiens étaient toujours menacés, nous étions considérés comme des infidèles », raconte son père, Amjad Najeeb Samaan, un ingénieur civil à la retraite de 66 ans. « Certains recevaient des lettres avec des balles de fusil, leur donnant le choix entre partir ou avoir cette balle dans la tête. »

 

Ils étaient près de 1,4 million de chrétiens en Irak en 2003, selon l’organisme Aide à l’Église en détresse (AED). Aujourd’hui, ils seraient moins de 250 000 et l’AED s’attend à ce que leur déclin aille en s’accentuant.

 

« Les Irakiens ont besoin de symboles comme la visite du pape. Les chrétiens se sentent abandonnés », lance François-Xavier Gicquel, directeur des opérations chez SOS Chrétiens d’Orient, qui travaille étroitement avec les communautés sur place.

 

            « Cette visite est particulièrement importante parce qu’elle va au cœur du problème, c’est-à-dire que les chrétiens ne forment plus que 1 % de la population. Ils ont des défis énormes pour se réimplanter dans les villages qui ont été libérés. »

François-Xavier Gicquel, directeur des opérations chez SOS Chrétiens d’Orient

 

À la suite de la destruction des villages par le groupe armé État islamique, l’heure est à la reconstruction. Selon l’AED, près de 45 % des familles sont retournées dans la plaine de Ninive, située dans le nord du pays.

 

Partir pour ne jamais revenir

 

Le souverain pontife doit visiter dimanche les plaines de Ninive et Mossoul, occupées par Daech (groupe armé État islamique) de 2014 à 2017. Il sera également de passage à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien.

 

Ils sont plus de 100 000 chrétiens à avoir fui la plaine de Ninive le 6 août 2014 vers la région contrôlée par les Kurdes, située à proximité et plus sûre. Karam Hasso Gajo, qui résidait à Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d’Irak, en fait partie.

 

Ce matin-là, il a reçu un appel de son père alors qu’il était au marché. « Il m’a dit qu’il y avait des tirs de mortier dans le voisinage, raconte-t-il. Deux enfants et une femme ont été tués, ainsi que trois ou quatre voisins. »

 

S’en est alors suivi un branle-bas de combat pour fuir vers le Kurdistan, avec comme passage obligé une attente de plusieurs heures à cause des longues files de voitures aux points de contrôle. Parmi ceux qui ont fui, certains ont décidé de quitter le pays pour ne jamais revenir. Comme d’autres avant eux.

 

« Le traumatisme est trop grand pour qu’ils reviennent », affirme David Villeneuve, chercheur membre du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient de l’Université Laval. Le doctorant s’est rendu six fois en Irak et a réalisé des dizaines d’entrevues. « Il y a une idée répandue que l’Irak ne leur offre aucune garantie de sécurité ni l’assurance qu’une autre guerre n’arrivera pas. »

 

            « Il y a un souhait caché que la visite du pape encourage des chrétiens qui vivent dans des pays limitrophes à rentrer en Irak, pour grossir les rangs d’une communauté affaiblie. »

David Villeneuve, chercheur membre du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient de l’Université Laval.

 

Karam Hasso Gajo, lui, a décidé de rester à Erbil, où il est propriétaire d’un café. « Avant, j’étais contre les gens qui quittaient [le pays]. Mais depuis 2014, je n’encourage pas les gens à rester ou à partir », dit-il.

 

Une arrivée attendue

 

Dans la capitale du Kurdistan irakien, la ville se prépare et plusieurs grandes affiches du pape ont été posées dans les rues. Wafia Yousif Abdulrahman attend avec excitation la visite du souverain pontife, qu’elle verra pour la troisième fois.

 

Elle montre fièrement la carte plastifiée qui lui donnera accès à la grande messe, dimanche, dans un stade de soccer de la ville.

 

            « C’est important d’y aller, c’est une bénédiction. C’est un homme de paix. »

Wafia Yousif Abdulrahman

 

Plusieurs milliers de personnes sont attendues pour l’occasion, ce qui en fera le plus grand rassemblement de la visite papale qui se terminera lundi. Son mari, lui, est un peu moins enthousiaste. « J’ai peur pour lui », lance Amjad Najeeb Samaan, en faisant un geste vers le pape, qui apparaît sur une chaîne de télévision locale. Il estime qu’un attentat est possible. Il a aussi du mal à avoir espoir en l’avenir. « Notre situation va toujours aller en descendant », dit-il.

 

La menace d’une résurgence de la COVID-19 plane également, malgré la mise en place d’un confinement sévère pour la fin de semaine et des déplacements entre provinces très limités. L’Irak est plongé dans une seconde vague d’infections avec 5000 cas quotidiens sur une population de 40 millions de personnes, ce qui atteint le niveau de la première vague de l’automne dernier. Si le pape et l’entourage qui le suit sont vaccinés, ce n’est pas le cas pour les Irakiens : le pays a reçu une première cargaison de 50 000 vaccins au début de la semaine dernière.

 

Mais cela ne fait pas nécessairement sourciller les locaux. « Les gens, ici, se fichent de la COVID-19 », laisse tomber Karam Hasso Gajo. Jeunes comme personnes âgées se rassemblent et portent rarement le masque dans la rue, les hôtels et les commerces, comme si, ici, la pandémie n’existait pas.

Article écrit par Anne-Marie Provost

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe