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"On ne savait pas si, dans la minute qui suivait, ils n'allaient pas nous exécuter" : deux Français retenus en Irak en 2020 racontent leur détention

Franceinfo

Pour la première fois, les membres de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient retenus captifs en Irak en 2020 s’expriment dans les médias. Après avoir été kidnappés à Bagdad, les trois Français et leur collaborateur irakien ont passé 66 jours en captivité avant d’être libérés, le 26 mars 2020. L’un d’eux, Alexandre Goodarzy publiera un livre, Guerrier de la paix (éditions du Rocher), le 24 mars.

 

Les deux autres, Antoine Brochon et Julien Dittmar, se sont confiés à franceinfo. Ils racontent les circonstances de leur enlèvement, les conditions de leur détention, leur soulagement mais aussi leur « frustration » depuis leur libération.

Irak
Type d'intervention

franceinfo : Vous avez été enlevés le 20 janvier 2020, alors que vous êtes en Irak pour le compte de votre ONG, SOS Chrétiens d’Orient. Que s’est-il passé ce jour-là ?

Antoine Brochon: On est dans Bagdad, on vient de changer nos billets d’avion parce qu’on souhaite écourter notre séjour, suivant les recommandations de l’ambassade de France, parce qu’il doit y avoir une manifestation pro-iranienne le vendredi, donc la présence d’occidentaux n’est pas forcément la bienvenue. On va dans une agence de voyages pour changer nos billets. En sortant de cette agence de voyage, nous prenons un taxi et là, le taxi est arrêté par une voiture. D’abord, on entend une voiture de police, on la voit nous dépasser et cette voiture bloque la route du taxi. Et on voit sortir des hommes en armes, ils sont sept avec des fusils d’assaut, en équipement militaire. Ils encerclent la voiture. On voit les hommes s’avancer vers nous, l’un d’eux arrive avec le canon de son arme et frappe la fenêtre de la portière où était notre interprète et le somme de sortir rapidement de la voiture. Ce qu’il fait. Pas assez rapidement à leur goût, ce qui fait qu’il se prendra un coup de crosse dans le visage au moment où il sort de la voiture. Et puis après, les autres hommes s’avancent, encore plus menaçants vers les autres portières et nous sortons. Moi, je suis sorti manu militari, tout de suite emmené dans un véhicule qui était à l’arrière de notre taxi, qu’on n’avait pas encore vu. Au moment où on me pousse dans le véhicule à l’arrière, je vois notre interprète monter dans le véhicule qui bloquait à l’avant de notre taxi et se faire frapper lui aussi au visage. 

Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là pour vous ? 

Julien Dittmar : A ce moment-là, je me retrouve avec notre interprète dans la même voiture. Je le vois le crâne en sang. Et là, des cris… on part pleine balle, la voiture roule très vite. Très rapidement, on nous prend nos portables, nos passeports, nos portefeuilles. Il y a des mains un peu partout qui nous prennent tout ce qu’on a sur nous. Ça crie un peu de partout, ça conduit vraiment très brusquement. On nous fait baisser la tête pour ne pas voir ce qui se passe, les mains attachées. Donc, on ne voit plus la route mais on sent très rapidement qu’on quitte Bagdad et au bout de trois quarts d’heure de route environ, on change de voiture. On s’arrête dans un endroit isolé. Je me retrouve dans le coffre. Les gens s’assoient sur moi. On me refouille encore une fois. Tout le long, ça crie un peu partout, il y a un pseudo interrogatoire improvisé. On arrive dans une espèce de hangar. On se regroupe tous les quatre. L’interprète demande qui ils sont et là, ils nous disent qu’ils sont les services secrets irakiens et qu’en Irak, c’est comme ça. Ils ont des doutes sur nous, c’est comme ça. Là, on est toujours attachés, les yeux bandés. Et débutent ainsi 66 jours de séquestration.

Comment se déroule votre captivité ? Est-ce que vous restez dans ce hangar pendant 66 jours ou est-ce que vous changez d’endroit ? Comment vous êtes traités ?

Antoine Brochon : On n’est pas torturés physiquement, on est torturés psychologiquement. La séquestration va nous amener dans différents lieux, le temps que nos ravisseurs aménagent un endroit où ils peuvent nous garder. Quand on y est arrivés, on s’est dit que s’ils ont aménagé ce lieu, c’est qu’ils considèrent qu’ils vont nous garder pendant des années. Mais avant d’arriver à cet endroit, on sera déplacés plusieurs fois. On est d’abord dans ce hangar, puis dans un préfabriqué où ils ont réservé une pièce de 6 mètres carrés dans laquelle on va juste pouvoir rester allongés, où il y a des chaînes pour nous attacher, soit aux pieds, soit aux mains. Finalement, ils ne nous attacheront pas mais pendant un moment, ils vont laisser planer le doute. Et puis après, ils vont nous emmener dans un sous-sol, un ancien abri anti-aérien dans lequel on va rester deux semaines. La constante, c’est que les conditions d’hygiène sont dégradantes. On est privés de sommeil, privés de nourriture. On a à manger, évidemment, on ne peut pas rester 66 jours sans manger. Mais il y aura des jours où ils vont oublier de nous apporter à manger. On va juste manger l’équivalent de deux boîtes de thon à quatre pendant 48 heures. Ou ils vont oublier de nous apporter de l’eau. Quand on a des bouteilles d’eau ou des boîtes de thon, on ne sait jamais pour combien de temps on les a. Donc c’est une incertitude permanente qui plane sur nos vies. Pendant 66 jours, on ne savait pas si, dans la minute qui suivait, ils n’allaient pas arriver, nous emmener et nous exécuter derrière le bâtiment dans lequel on était séquestrés. D’ailleurs, il y a eu un moment où ils sont réellement venus. On les a entendu charger leurs armes et ils nous ont bandé les yeux, attaché les mains dans le dos et nous ont emmenés derrière le bâtiment. On était convaincus que c’était vraiment le dernier moment qui était arrivé.

Est-ce qu’à un moment, pendant votre captivité, vous vous êtes dit « il faut qu’on essaie de s’enfuir, il faut qu’on tente de faire quelque chose », ou c’était impossible ?

Julien Dittmar : Effectivement, l’idée a pu nous traverser, mais très rapidement, on a sorti cette idée de notre tête parce que nous ne savions pas où nous étions. Nous n’avions plus de passeport, plus de téléphone, plus rien… Même plus de chaussures – pour marcher des kilomètres, c’est quand même utile. Nous pouvions tomber sur des gens pires que ceux qui nous détenaient à ce moment-là. Nous étions évidemment inquiets pour notre sort, mais on se disait que c’était potentiellement pire en sortant.

Antoine Brochon : Nos ravisseurs nous ont laissé comprendre qu’ils pouvaient vraiment faire ce qu’ils voulaient de nous. Quand on était dans l’abri sous-terrain, on a été réveillés en pleine nuit par des hurlements de personnes qui étaient torturées et qu’on a entendues hurler jusqu’à l’agonie. On savait aussi que si nous rations notre évasion, le sort qui nous était réservé, c’est certainement des tortures jusqu’à la mort. Tout le temps, nous avons gardé l’espérance, à la fois dans les services compétents de l’Etat – on sait que l’Etat français n’abandonne pas ses compatriotes – et dans notre association. Et puis aussi, on a confié notre vie à Dieu, on a prié, tous les jours, plusieurs fois par jour. Grâce à ça, on a conservé l’espérance. Et tant qu’on avait cette espérance, on savait qu’il fallait rester en vie. Pour nos familles, pour nos proches, pour pouvoir revenir un jour ou l’autre en France.

Est-ce que vous comprenez, au moment où vous êtes en captivité, pourquoi vous avez été kidnappés ?

Julien Dittmar : On arrive dans un contexte très, très complexe, après la mort du général Qassem Soleimani, le numéro 2 de l’armée iranienne qui se fait tuer par un drone américain, ce qui est très humiliant. Il y a eu des réponses à ça, des tirs sur des bases américaines. Rapidement, on nous accuse. Un des officiers nous dit qu’on a payé des manifestants. Il y a des grosses manifestations contre l’influence de l’Iran en Irak et ce sont les milices chiites qui répriment les manifestants. On a vite compris que c’étaient des chiites. On en était sûrs. On oscillait pour savoir si c’étaient des milices ou des vrais services secrets. 

Le 26 mars 2020, c’est le jour de votre libération. Comment ça se passe ?

Antoine Brochon : Plusieurs fois au cours de notre séquestration, ils nous ont déplacés en différents lieux. On est dans notre quatrième lieu de séquestration. Et à chaque fois qu’ils nous déplaçaient d’un lieu à l’autre, ils nous promettaient qu’on allait être libérés.

« C’était en permanence un ascenseur émotionnel. Quand ils sont venus nous dire : ça y est, vous allez voir vos familles dans une semaine, on était forcément très sceptiques, on n’osait pas se réjouir. »

Jusqu’à la fin, on n’y a pas cru. Ils nous ont emmenés dans une villa où on s’est retrouvés dans une pièce complètement ajourée, avec des plaques métalliques qui protégeaient les fenêtres. Et enfin, l’officier qui nous avait interrogés jusque-là, qui était venu de temps en temps, arrive et nous explique comment ça va se passer, qu’on va être emmenés vers les services français. Et à ce moment-là, il nous explique qu’on va être libérés. Que l’on va peut-être nous dire qu’on a été libérés contre une rançon, mais que c’est un mensonge. Il explique aussi que la prochaine fois que des Français seront attrapés dans Bagdad, ou en Irak, ils seront abattus directement. Il nous emmène dans une voiture et enfin, il nous pose à quelques centaines de mètres de l’ambassade de France. On arrive à l’ambassade de France et je sonne à la porte, à l’interphone. On passe des examens médicaux parce que là, on a perdu chacun plus de dix kilos. Ils s’assurent, déjà, qu’on n’a pas attrapé le Covid. Et après, le lendemain et le surlendemain, on a effectivement des interviews avec les services compétents de l’Etat. 

Comment se passe votre retour en France ? 

Julien Dittmar : On rentre dans la nuit du 28 au 29 par avion militaire. On sera accueillis par un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, guère plus.

Vous le regrettez ?

Julien Dittmar : Comme tout le monde, on regarde la télé et on voit les otages qui sont libérés, qui sont accueillis en général avec un peu plus de strass… Et même si à ce moment-là, ce qui nous importait, c’était de revoir nos familles, ce n’était vraiment pas la priorité…

« Avec le recul, effectivement, on peut juste constater qu’on n’a pas eu le traitement médiatique ni l’accueil de la plupart des otages français. Mais honnêtement, il n’y a pas de club d’ex-otages, on ne connaît pas tous les autres… »

Comment se passent les mois qui suivent votre retour en France, psychologiquement ? Vous êtes otages, vous arrivez dans un pays en pleine crise sanitaire…

Antoine Brochon : Après avoir été séquestrés dans des lieux sordides, il y avait cette envie de liberté, d’aller en forêt, d’aller se promener en famille, de rencontrer tous ceux qui se sont vraiment inquiétés pour nous, et à juste titre. Mais quand on arrive en France, les premiers mois, on en a été privés, et c’est quelque part une frustration. Et puis après, il y a la phase de reconstruction qui se fait avec des spécialistes. Parce qu’on n’a pas subi de torture physique au sens propre. On n’a pas été plus battus que ça, ou quoi que ce soit. Mais il y a cette fracture psychologique qui est forte et qu’il faut petit à petit résorber. Pour nous, la cicatrisation est d’autant plus dure que notre statut d’otage n’est pas reconnu, puisque les magistrats français qui instruisent notre dossier ne reconnaissent qu’un caractère de droit commun : ce n’est pas reconnu comme une action d’un groupe terroriste. Il y a une reconnaissance de la part des services français qui nous recommandent chaudement de ne pas nous rendre en Irak, de ne pas aller dans les pays voisins. Mais oui, il y a une frustration.

Julien Dittmar : Mais cette expérience nous a tellement chamboulés psychologiquement que, honnêtement, je ne sais pas si je suis encore capable de faire ce métier-là ou pas. 

Antoine Brochon : A titre personnel, je suis directeur adjoint des opérations, responsable de la sécurité de l’association SOS Chrétiens d’Orient, qui travaille sur des théâtres très variés comme l’Irak, la Syrie, le Liban, l’Egypte, l’Ethiopie, le Pakistan, l’Arménie. Et sur l’ensemble de ces pays, il y en a trois dans lesquels je ne peux plus retourner. C’est les trois où nous avons des enjeux sécuritaires majeurs. Quelque part, oui, je suis otage de la situation professionnelle puisque je ne suis pas autorisé à m’y rendre. Je dis aujourd’hui à nos expatriés, à des volontaires qu’on envoie sur place : « allez-y », mais par contre, moi je ne peux pas y aller. Et je ne peux me rendre compte sur place de la situation sécuritaire. C’est quand même très handicapant pour moi.

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe