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L'Arménie et le Karabagh, un abandon et de lourdes conséquences

Aleteia

Loin de clore un chapitre, la guerre du Haut-Karabakh et le cessez-le-feu ouvrent pour l’Arménie une période d’incertitudes et de drames humains. Une situation à laquelle la France ne peut pas être indifférente.

Les images sont glaçantes. L’accord de cessez-le-feu signé dans la nuit du 9 au 10 novembre par l’Arménie et l’Azerbaïdjan sous l’égide de la Russie met un terme – provisoire ? – à un conflit armé de six semaines. Mais à quel prix ? Le texte consacre les gains de territoires importants obtenus par l’Azerbaïdjan et prévoit la rétrocession à Bakou de territoires supplémentaires. Dans les faits, c’est un triste paysage qui s’offre aux quelques observateurs présents sur place : des églises et monastères bombardés, des maisons ravagées et, surtout, au moins 90.000 personnes jetées sur les routesEn voyant ces images, on ne peut qu’imaginer ce qui traverse leur esprit. La tristesse de quitter son foyer, la peur de l’inconnu et l’angoisse de ne jamais retourner sur la terre de leurs ancêtres, ceux-là même qui se convertirent au christianisme entre 301 et 314 après Jésus-Christ, faisant de l’Arménie le premier royaume chrétien au monde.

Arménie
Type d'intervention

« On parle aujourd’hui beaucoup de l’Arménie mais cela fait longtemps qu’elle est abandonnée », déplore Jeanne der Agopian, l’une des responsables de l’association SOS Chrétiens d’Orient qui a envoyé quinze volontaires dans le pays. « Et c’est dans cette pauvreté que les réfugiés et les blessés de guerre arrivent. » Sur place, ce sont surtout les produits de première nécessité qui font défaut. Outre Erevan, la capitale arménienne, c’est à Goris que l’association a décidé d’implanter une antenne. « C’est la première ville importante quand vous sortez de l’Artsakh (Haut-Karabakh en arménien, ndlr) par la route du sud », reprend Jeanne der Agopian. « Beaucoup de réfugiés y sont et l’hôpital est submergé par des blessés de guerre ». Pour venir en aide à ces personnes déplacées, L’Œuvre d’Orient, également présente sur place, a ouvert un fonds d’urgence. Aide alimentaire et matérielle pour trois mois aux déplacés ayant trouvé refuge à Gyumri (nord-ouest de l’Arménie), réhabilitation d’un ancien orphelinat en centre d’accueil pour réfugiés… « Dès qu’on sort des villes on mesure une grande fragilité de l’économie, de la situation sociale », assure à Aleteia le directeur de L’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch. « Nous apportons notre soutien aux hôpitaux pour soigner les blessés, aux écoles pour éduquer les enfants ». Se posera ensuite la question du retour. « Il faudra pérenniser ce contrôle international et avancer sur la sauvegarde du patrimoine arménien qui échappe totalement aux Arméniens et au contrôle international ».

Le patrimoine arménien, voilà l’autre grande inquiétude. Si le génocide de 1915 est un épisode tragique de l’histoire du pays, un autre, moins connu, est celui du génocide culturel qui l’a accompagné, gommant progressivement les traces de la présence millénaire arménienne en Asie mineure. « Il y avait plus de 2.000 églises et monastères arméniens en Arménie occidentale », souligne Jeanne der Agopian. Il n’en reste aujourd’hui qu’une trentaine dont six en Anatolie. Un danger dont a bien conscience la France et l’Unesco. « La France est prête à apporter son expertise et son plein appui pour la protection du patrimoine culturel et religieux du Haut-Karabakh et de ses environs », a assuré le président de la République, Emmanuel Macron. Des experts dépêchés par l’Unesco sur le territoire devraient prochainement dresser un inventaire préliminaire à la mise en place d’une « protection effective » des monuments de la région arménienne.

Où est la France ?

Si la France, par la voix de son président, s’est exprimée sur la nécessaire protection du patrimoine du Haut-Karabakh, elle s’est faite plus neutre lors du conflit sur la question politique en raison de sa co-présidence du groupe de Minsk qu’elle partage avec les États-Unis et la Russie et qui avait pour mission de trouver une issue au conflit. Mission qui n’a pas été, pour le moment, accomplie. « Tout au long du conflit, le ministre des Affaires étrangères a veillé à ce que l’aide apportée par la France du coté arménien soit équilibré à celle apportée par la France du côté de l’Azerbaïdjan », détaille à Aleteia le sénateur (PS) Jean-Luc Devinaz, président du groupe d’amitié France-Arménie du Sénat. « Mais dans le même temps la Turquie, également membre du groupe de Minsk, ne s’est pas privée pour équiper l’Azerbaïdjan afin que le pays combatte l’Arménie ! Il y a un vrai paradoxe entre une politique française qui se veut équilibrée en raison de sa présence dans le groupe de Minsk alors que d’autres pays, également membre du groupe, n’en ont cure ».

Pourtant, la France est loin d’être indifférente au sort de l’Arménie. En 1941, alors qu’il était à Damas, le général de Gaulle s’est adressé aux Arméniens en ces termes : « Vous êtes un petit peuple, riche de culture et d’histoire ; l’humanité vous doit beaucoup et je suis persuadé aujourd’hui que ce petit nombre de rescapés, demain une jeunesse vaillante, fera resurgir une Arménie en sécurité, libre et indépendante ». Des propos qui ont bercé, de près ou de loin, la relation d’amitié entre la France et l’Arménie.

Avec la fin du conflit, le 22 novembre, le gouvernement français a annoncé la mise en place  « d’un effort structuré » afin de venir en aide à la population arménienne affectée par le conflit du Haut-Karabakh. « Ce dispositif, coordonné dans le cadre d’un comité de pilotage, par le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, mobilise l’État, les associations de solidarité avec l’Arménie, des organisations humanitaires rassemblées au sein de « Coordination Sud », des fondations d’entreprises et des établissements hospitaliers », précise encore le gouvernement. En parallèle, le Sénat examinera le 25 novembre une résolution proposant la reconnaissance par la République française de la République d’Artsakh. « Seule son indépendance peut garantir durablement les droits et libertés des populations du Haut Karabakh face à l’expansionnisme islamiste turc », a prévenu le sénateur (LR) Bruno Retailleau.

Notre priorité se doit d’être solidaire avec les pays et les peuples voulant aller vers plus de démocratie. Cette réalité prime sur toute autre considération.

« Nous devons prendre en compte que le Haut-Karabakh est une république démocratique, que l’Arménie, avec sa révolution de velours, est une démocratie qui a souhaité s’orienter vers plus de démocratie », reprend le sénateur Jean-Luc Devinaz. « Or ces deux démocraties sont mises à mal par des régimes autoritaires. Nous vivons dans une république, une démocratie. Notre priorité doit donc d’être solidaire avec les pays et les peuples voulant aller vers plus de démocratie. Cette réalité prime sur toute autre considération ».

Inquiétude autour de la Turquie

Derrière ces propos, c’est l’ombre de l’Azerbaïdjan et, surtout, de la Turquie qui planent. Il y a d’abord ces propos du président azéri, Ilham Aliyev, qui a déclaré vouloir chasser de ces terres les Arméniens « comme des chiens ». Des propos glaçants à mettre également en perspective avec ceux tenus par Erdogan en juillet glissant dans un discours qu’il comptait reprendre le travail de ces grands-parents. « Ce n’est pas des propos à prendre à la légère », prévient encore le sénateur.

« La Turquie est une source de très grande inquiétude », rappelle de son côté Mgr Gollnisch. Au-delà du non-respect des droits de l’homme sur son territoire national, c’est bien son implantation dans d’autres pays qui interpelle. « La Turquie a implanté son armée en Syrie, en Irak, en Libye, en Chypre du Nord, ce qui empêche de trouver des solutions, c’est elle encore qui est à l’origine de tensions en mer méditerranée méridionale, qui a transformé la basilique Sainte-Sophie et l’église Saint-Sauveur-in-Chora en mosquée… ». Et la liste est encore longue. « La Turquie tourne le dos à ce que voulait le père de la Turquie moderne, Atatürk », reprend le directeur de l’Œuvre d’Orient. « Cela nous inquiète mais inquiète aussi le monde arabe qui a subi pendant trois siècles le pouvoir ottoman ».

Un article de Agnès Pinard Legry 

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe