MAGAZINE – Bras droit de Sœur Emmanuelle pendant dix-sept ans, le médecin diacre perpétue l’œuvre de la « petite sœur des pauvres » auprès des chiffonniers du Caire.
Un après-midi d’hiver, dans les locaux de SOS Chrétiens d’Orient, rendez-vous avec un médecin pas comme les autres. Derrière la porte, se tient un homme trapu, perché sur un tabouret, qui palabre avec une religieuse autour d’un thé fumant. Adel Abd el Malek Ghali est en France afin de récolter des fonds pour construire une nouvelle école en Égypte. Engoncé dans son épais manteau marron, le médecin égyptien septuagénaire nous salue avec un large sourire. Son regard attendrissant transperce ses lunettes en métal usées. Il parle comme un aïeul à son petit-fils. C’est dans un parfait français que ce diacre copte orthodoxe me raconte son histoire… sainte.
« C’est grâce à la Providence et à la Vierge Marie que j’ai rencontré Soeur Emmanuelle», proclame-t-il. Tout jeune médecin, il est interpellé par la « petite sœur des pauvres » qui lui demande de l’aide. En 1977, la situation sanitaire des chiffonniers du Caire est en effet désastreuse. Près de quatre enfants sur dix meurent du tétanos. Le regard ému, il se remémore : « Tout le monde vivait pieds nus dans les détritus. Les femmes portaient leurs enfants souriants et heureux. Sœur Emmanuelle les prenait dans ses bras et les embrassait. J’avais 28 ans, j’ai tout de suite été attiré par ce qu’elle faisait. »
Le diacre pose délicatement sa tasse de thé. Il se souvient de ce que Sœur Emmanuelle appelait le « palais royal » : une cabane en tôle dans laquelle se trouvaient un lit, une table, une lampe à pétrole et une Bible. « Chaque fois que j’y allais, j’étais fasciné. Comment une religieuse âgée de 70 ans pouvait-elle donner autant d’énergie ? » Un peu plus tard, ils ont créé leur première « clinique de luxe ». C’était une simple cabane comprenant une table d’examen de fortune, trois chaises et un matelas. Dans un coin, sur une petite table, étaient posées une jarre d’eau et une serviette pour apporter le minimum d’hygiène nécessaire.
Un jour, il est appelé dans le quartier pauvre de Mokattam auprès des victimes d’un incendie. « La nuit suivante, je n’ai pas dormi », témoigne le médecin. « J’ai pensé à ces gens qui vivent dans des conditions encore plus terribles. Je me suis demandé : que faire ? Dois-je démissionner de mon travail actuel ? »
Sœur Emmanuelle le somme de la rejoindre : « On va travailler ensemble pour la gloire de Dieu ! »
Le lendemain, avant même de le saluer, Sœur Emmanuelle le somme de la rejoindre : « On va travailler ensemble pour la gloire de Dieu ! » « Je me suis alors dit : “C’est bon, j’ai ma réponse !” »
Fuyant le moindre éloge, Adel ne cesse de remercier le « Seigneur ». « Les meilleurs jours de ma vie ont été parmi les chiffonniers », affirme-t-il d’un ton mélancolique. Il continue de s’émerveiller : « Malgré leur vie extrêmement difficile, ils sont toujours gais et souriants. Ce sont des gens dignes. » Aujourd’hui, le quartier d’Ezbet-El-Nakhl, dans lequel il soigne encore, abrite vingt mille chiffonniers. L’école, l’hôpital et le centre Salam ont remplacé le « palais royal ». « Si le Seigneur est avec nous, qu’est-ce que l’on veut de plus ? On est heureux. »
Théo Debavelaere, Famille chrétienne