Mgr Nicodemus Daoud Sharaf est l’archevêque syriaque orthodoxe de Mossoul. Exilé au Kurdistan irakien depuis l’été 2014, il est en colère contre la communauté internationale qui continue de se désintéresser du sort des minorités d’Irak. Il entame une série de conférences en France* pour témoigner de la situation de son Église.
Quelle est la situation actuelle des Syriaques orthodoxes chassés de Mossoul en août 2014 ?
Lorsque Daech est arrivé à Mossoul, toute notre communauté a fui vers le Kurdistan irakien. C’est à partir de là que certains ont commencé à émigrer vers la Turquie, le Liban ou bien la Jordanie. Aujourd’hui, il y a environ 6.500 familles syriaques orthodoxes déplacées au Kurdistan irakien. Elles se trouvent principalement à Erbil, mais aussi à Dohuk (au nord) et à Kirkouk (au sud). La moitié de ces familles vit dans des appartements partagés où une famille entière loge dans une chambre. Environ 1.000 autres familles sont dans des caravanes. Enfin, le reste loue des appartements. Même si la sécurité est assurée au Kurdistan irakien, la vie y est difficile car il n’y a pas de travail et que le prix des loyers est élevé.
Sentez-vous une amélioration depuis votre arrivée à Erbil ?
La réalité n’a pas changé et nous supplions Dieu pour que notre situation s’améliore. Nous sommes fatigués des promesses de beaucoup de gens qui nous disent que Daech va être éradiqué rapidement. Cela fera bientôt deux ans qu’ils ont pris Mossoul !
Rester au Kurdistan irakien, est-ce une possibilité envisagée ?
Le Kurdistan est aussi notre terre. Nous, chrétiens des origines, nous sommes les vrais habitants de l’Irak. Il n’y a pas de problème à demeurer au Kurdistan. Mais rester vivre dans la situation actuelle n’est pas acceptable. Que des familles vivent dans des caravanes ou bien dans une seule chambre d’appartement est insupportable. Nous avons besoin d’argent pour les aider à financer les loyers. Nous demandons également des soutiens pour construire des écoles et développer l’aide médicale.
Avez-vous l’espoir de retourner un jour à Mossoul ?
Dans l’état actuel des choses, un retour à Mossoul est évidemment impossible. Mais si Daech part, cela ne voudra pas dire non plus que nous y retournerons ! Nous avons besoin de garantie, avoir l’assurance d’une sécurité forte et durable. Parce que nous avons déjà tout perdu et que nous ne voulons pas perdre davantage. En tant que chrétiens, nous n’avons pas les capacités et les armes pour combattre comme les autres. Nous sommes une minorité, et comme toutes les minorités, nous devons faire confiance aux lois du pays dans lequel nous vivons. Or, aujourd’hui, les lois ne garantissent rien.
Quel regard portez-vous sur la politique de l’Occident au Moyen-Orient ?
On ressent chez les occidentaux une certaine cupidité diabolique. En politique internationale, ils ont toujours tout fait pour servir leurs propres intérêts. Regardez : l’Europe et les Etats-Unis mettent continuellement en avant leurs nouvelles technologies, et notamment, les qualités de leurs satellites. Ils disent même qu’ils peuvent lire l’étiquette d’un pull-over depuis l’espace ! Et comment peut-on croire qu’ils n’aient pas réussi à voir la montée de Daech et la prise de Mossoul ? Qui peut croire que Daech est né tout seul, comme par surprise ? Les occidentaux cherchent toujours à tirer profit de la situation. Ici, c’est le pétrole qui gouverne tout.
De l’autre côté, les élites irakiennes ne sont pas irréprochables. Il y a un vrai aveuglement, une certaine inintelligence de nos élites orientales dans les choix qu’ils opèrent et dans la manière de s’entendre. Alors, quand la cupidité occidentale rencontre la folie des orientaux, les premiers qui souffrent sont toujours les minorités.
Cette tragédie qui touche les chrétiens d’Irak renforce-t-elle les liens entre les Eglises orthodoxes et catholiques ?
Le malheur qui nous frappe nous fait marcher vers l’unité. En arrivant à Mossoul, les hommes de Daech ont chassé les chrétiens sans distinction. Alors pourquoi ferions-nous des distinctions entre nous ? L’ennemi a réussi à nous réunir ! A Erbil, je suis constamment en contact avec Mgr Petros Moshe, archevêque syrien-catholique de Mossoul, et Mgr Bashar Warda, archevêque chaldéen d’Erbil. Nous travaillons ensemble sur tous les sujets. Je vois que les fidèles sont très heureux de cette unité dans l’épreuve. En 1984, le pape Jean-Paul II et le patriarche syriaque orthodoxe Zakka 1er Iwas s’étaient rencontrés et avaient signé un accord selon lequel ils affirmaient qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre les deux Eglises mais des spécificités d’usages et de pratiques. Cette déclaration a permis à nos fidèles d’échanger et de prier les uns pour les autres. Car si les hommes de Daech nous ont tout pris, ils ne nous ont pas pris notre foi. Aujourd’hui en Irak, nous travaillons comme une seule Église chrétienne.