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Daech fait subir aux chrétiens un double déshonneur

Aleteia

Le père Najeeb Michaeel, dominicain du couvent de Mossoul, est le pasteur du troupeau dispersé de la plaine de Ninive.



Aleteia vous emmène à la rencontre des chrétiens persécutés du Moyen-­Orient. Un itinéraire qui nous a conduit au Liban, en Syrie et en Irak. En Syrie, nous avons vu Mhardeh, petit village chrétien noyé sous les obus d’Al­Nosra, Homs, où la guerre civile syrienne a débuté et Palmyre, la perle du désert syrien reprise par l’État islamique. En Irak, vous découvrirez les camps de réfugiés de Bagdad et d’Erbil, Qaraqosh la ville fantôme, Al­Qosh la miraculée et Mangesh, aux confins du Kurdistan. Découvrez le récit exceptionnel de cette aventure sur les traces des chrétiens martyrs plongés dans une guerre qui n’en finit plus.

Irak
Type d'intervention

Un groupe d’étudiants se penche attentivement sur un manuscrit, jauni, fragile, aux pages cassantes comme du verre. Dans cette maisonnette bien tenue qui borde le quartier d’Ankawa, à quelques pas des camps de chrétiens de la plaine de Ninive, réfugiés dans ce faubourg d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, on devise à voix basse, d’un ton posé. L’exposé du jour porte sur la pulpe des arbres, sur la séparation de la lignine et de la cellulose qui la composent afin d’en exploiter la fibre qui assure au bois ses propriétés mécaniques et aux livres, leur exceptionnelle longévité. Les étudiants sont tous réfugiés mais poursuivent sans relâche le travail de restauration et de sauvegarde des manuscrits anciens de la Mésopotamie. Sous l’œil attentif et bienveillant du père Najeeb Michaeel, ces jeunes Irakiens entretiennent et sauvent leur histoire. À leur manière, ils en écrivent aussi les nouvelles pages.

Le père dominicain du couvent de Mossoul a fui la ville par une porte avec ses plus précieux livres sous le bras, pendant que Daesh pénétrait par l’autre. Il a accueilli à Erbil les familles de tous les villages qui ceinturaient la deuxième ville irakienne. Retourné plusieurs fois sur place depuis le reflux des armées du califat, il a vu les églises profanées et les villages libérés entièrement calcinés.

Aleteia : Avons-­nous franchi un nouveau stade dans la persécution systématique des chrétiens ?

Père Najeeb Michaeel, op : Mettre le feu à une maison, c’est un double déshonneur : les habitants doivent la démolir de leurs propres mains pour la rebâtir. En plus du génocide en cours, le message est clair : « Ne revenez plus, vous n’êtes plus chez vous ».

Daesh [acronyme arabe de l’État islamique ou califat, Ndlr] a des racines qui plongent 1400 ans en arrière avec les razzias de la conquête arabe. Dans les villages tout était permis pour imposer par l’intimidation et l’épée un islam de soumission. Daesh ne laisse même plus aux villageois le choix de la conversion ou de la djizîa, la dîme frappant les non­musulmans : c’est le vol et la mort. Rappelons-­nous que dès 2005, cinq prêtres et un évêque étaient abattus sommairement.

Aujourd’hui encore, les menaces de mort qui parviennent aux chrétiens portent noir sur blanc des versets coraniques sensés les justifier. Aucune abomination n’est comparable à celle dont Daesh s’est rendu coupable, motivé par une idéologie, plus que par une religion, totalement incompatible avec la modernité.

La réconciliation est­-elle possible ?

La réconciliation est une utopie. Faire protéger les chrétiens par la force internationale dans un État de droit, pourquoi pas. Compter sur la seule protection des Kurdes comme aujourd’hui à Erbil ne nous prémunira jamais des soubresauts de l’histoire. Ici chacun conserve la mémoire des chrétiens anéantis par les mêmes Kurdes sous l’empire ottoman. Mais Daesh a fait mûrir dans le cœur de tous les chrétiens un sentiment profondément catholique, une aspiration à se défendre de tous les terrorismes, tous les fondamentalismes. En remettant l’homme au cœur de la politique, on y arrivera.

Envisagez­-vous de rentrer chez vous un jour ?

20 à 25% des réfugiés ont trouvé́ un travail ici. Les autres affrontent la barrière de la langue kurde. Rentrer chez soi sera une aventure, un défi plus dangereux encore que l’arrivée de Daesh : comment voisiner quand la confiance est rompue ? La trahison, nous l’avons vue à visage découvert. Elle porte le nom de chaque voisin qui vous a dénoncé́ comme chrétien, qui convoitait pour lui votre fille ou votre épouse qui a été́ enlevée, qui s’est servi chez vous en votre absence, chez qui vous retrouvez vos meubles, votre voiture. Beaucoup veulent recommencer ailleurs mais pas là où tout peut recommencer en une génération, à cause de l’oubli

Faut-il changer les systèmes politiques arabes ?

Avant tout faire face à la corruption, « plus vieux gagne-pain du monde » selon moi. En s’éloignant des principes humains élémentaires, on y tombe. Mais on peut la contrôler par la loi si elle est bien appliquée. Si seulement les Occidentaux nous vendaient leurs « valeurs » avec leurs armes ! Y compris les valeurs de la République, pourquoi pas… Le respect des minorités existe en Irak mais il n’est pas appliqué. Avec des hommes plus humains au gouvernement nous y arriverons peut-être.

Quel est le devoir des Occidentaux ?

Il faut maîtriser l’incendie. L’Europe, les États­Unis, Trump ou Fillon doivent et peuvent contrôler les attaques contre les minorités, qu’elles soient yézidie, mandéenne, chrétienne, etc. Puis il faut rééduquer les terroristes prisonniers de leur idéologie. Pour aider les pays du sud, la culture et les écoles sont essentielles, indispensables. Quand la France dominait la région [pendant le Mandat français sur la Syrie et le Liban, institué par la Société des Nations entre 1920 et 1946, Ndlr], elle construisait des écoles. Les Anglais [pendant le Mandat britannique de Mésopotamie, 1920­1932, Ndlr], comme des sangsues, n’ont jamais rien construit et n’ont laissé debout que le squelette de l’Irak, où personne n’a jamais appris leur langue !

Avez-­vous été sensible aux manifestations de soutien des chrétiens occidentaux ?

La France, fille aînée de l’Église a « dorloté » les autres églises orientales. L’Église de France a relevé la tête des chrétiens orientaux. Les musulmans eux­mêmes sont envieux du soutien de l’Église universelle, de ses pasteurs qui nous ont pris en charge. La première Église a avoir pris la mesure de l’aide matérielle nécessaire ici et rassuré les fidèles de sa présence physique est l’Église de France. Une seule personne qui se mobilise représente tout son pays et relève le niveau de tous. Le père Rodolphe Vigneron, représentant le diocèse de Strasbourg, est venu plus de 20 fois ici et sa communauté a offert un atelier de couture tout équipé ; la fondation Mérieux et les Œuvres pontificales missionnaires ont construit un hôpital et un camp de réfugiés ; l’Œuvre d’Orient a bâti des dispensaires ; SOS Chrétiens d’Orient a construit et équipé une école et vient en aide aux familles isolées, etc.

La France a donné un visage chrétien et catholique à l’action en faveur des réfugiés. C’est le premier pays a avoir accueilli des réfugiés chrétiens en leur accordant des visas au titre des persécutions qu’ils subissaient. Il faut désormais nous organiser pour relancer les villages situés dans la plaine de Ninive.

Quel sort réserve l’avenir aux chrétiens réfugiés ?

La souffrance psychologique est dure, l’espoir a disparu, le désarroi est total. Tous les jeunes veulent partir. L’Église n’a pas le droit de leur demander de rester ni de les pousser dehors. Ils sont tiraillés entre l’Occident et leur pays d’origine. Il faut leur trouver une solution et pourquoi pas les accepter, leur adaptation est possible. D’ailleurs pourquoi n’acceptez­vous pas les chrétiens en priorité ? Pourquoi ne pas tendre la main à ceux qui veulent aider la France ? Vous observez actuellement en Europe l’entrée massive de migrants majoritairement musulmans qui se détournent des États voisins d’Égypte, d’Iran ou des pays du golfe, pourquoi ? Parmi eux, combien entrent chez vous pour déstabiliser vos nations selon les plans tracés par d’autres ? Vous devez rester clairvoyants.

Comment avez­vous vécu l’accueil de plusieurs familles de réfugiés musulmans par le pape François ?

S’il faut reconnaître que le geste a pu faire grincer des dents ici, n’oublions pas que le Sain-t­Père n’agit pas sur le même plan que nous, ni motivé par les mêmes raisons. Son geste est admirable et il est prophétique.

Et si les jeunes chrétiens restent ?

Alors il faut nous mobiliser pour prendre les Iraniens de vitesse car l’histoire se répète. Une vieille légende raconte qu’au XIXe siècle, les Shabaks originaires d’Iran ont pris pied autour de Ninive et se sont arrêtés aux portes des villages chrétiens illuminés par une apparition de la Sainte­Vierge, comme à Lépante. Les Irakiens chiites reçoivent aujourd’hui des subsides pour acheter à vil prix les maisons abandonnées par les chrétiens en fuite. L’humiliation perdure, le croissant chiite se reforme et la changement démographique s’accélère. Offrons aux jeunes de quoi rebâtir les villages mieux qu’avant. Si le soutien ne vient pas, il n’y aura aucun avenir.

La Bibliothèque du couvent des Dominicains de Mossoul, au nord de l’Irak, abritait plus de 800 manuscrits du XIIIe au XIXe siècle. Le père Najeeb s’est fixé la mission de poursuivre le sauvetage de ses « précieux compagnons — les hommes et leurs livres anciens — », et de les sauver des fanatiques, des mites et de l’humidité. Ces manuscrits témoignent, par la calligraphie et l’enluminure, de la culture des chrétiens de Mésopotamie. Ce fonds exceptionnel demeure un remarquable témoignage de la richesse de la tradition des Églises orientales entre le Tigre et l’Euphrate, depuis l’aube du christianisme jusqu’au XXIe siècle.

Récemment transférée à Erbil pour être mise en sécurité, cette collection regroupe des manuscrits enluminés appartenant à toutes les disciplines : liturgie, théologie, spiritualité (chrétienne et islamique), hagiographie, histoire, philosophie, science et astrologie, langues, littérature et musique…

Le père Najeeb était de passage à Paris en 2015 pour l’inauguration de l’exposition « Mésopotamie, carrefour des cultures — Grandes Heures des manuscrits irakiens ».

Les plus belles pièces de ce fonds exceptionnel étaient présentées du 20 mai au 24 août 2015 aux Archives Nationales, à l’Hôtel de Soubise à Paris, ainsi que le travail scientifique et de restauration opéré par le couvent dominicain de Mossoul, avec la collaboration de la Bibliothèque apostolique vaticane et de l’Université Saint John’s à Collegeville.

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe