Avec l’aide de l’association SOS Chrétiens d’Orient, Eddy Vicken et Yvon Bertorello ont sillonné la Syrie à la rencontre de ses habitants. Rencontre avec le réalisateur de Syrie, du chaos à l’espérance.
Syrie, du chaos à l’espérance s’inscrit-il dans la lignée de vos précédents documentaires : faire connaître des lieux interdits, dangereux ou isolés ?
Pour moi en tant que réalisateur, se pose la question des images. Aujourd’hui, on filme tout et n’importe quoi avec son téléphone. Quand on en fait son métier, que peut-on apporter de plus ? Poser des questions qui font sens dans la vie de chacun et donner à voir ce qui échappe à notre quotidien : un endroit fort ou difficile d’accès, des choix de vie radicaux ou des lieux ravagés par la guerre.
Avec Yvon Bertorello, après avoir abordé l’engagement religieux dans des cadres sereins, nous nous sommes demandés comment ça se passait quand on a cette foi dans un pays où la situation et l’intégrité des gens et de leur famille sont menacées.
Votre travail est-il animé par une quête de la vérité ?
Il y a pour nous une nécessité impérieuse à développer les thématiques de nos films. Pour retranscrire la réalité auprès des gens qui n’auront pas la chance de se rendre dans ces lieux-là, il est nécessaire de solliciter toutes les sources possibles et imaginables et de comparer les points de vue des archéologues, des historiens avec ce que nous allons voir sur le terrain.
D’une vision plus sombre comment vous est finalement venu ce titre Syrie, du chaos à l’espérance ?
Il ne fallait pas que ce soit seulement un aveu de défaite. « Du chaos à l’espérance » résumait le cercle infernal dans lequel le pays était plongé et la possibilité d’une issue favorable.
J’avais un tableau beaucoup plus noir effectivement. Il y a tellement de choses indicibles. On ne peut s’empêcher d’avoir une forme de désespérance. Et, tout de même, dans les ténèbres les plus profonds, c’est là que surgit la lumière. On a vu de la lumière, de l’espérance, une foi très ardente.
Pourquoi cet itinéraire de Damas, la capitale, à Kessab sur la frontière turque ?
Nous avons pu parcourir la partie occidentale, la Syrie utile où est regroupée la plupart des villes importantes nous permettant d’avoir une vue d’ensemble sur le conflit syrien. Malgré toutes les images qui nous viennent du conflit en Syrie, on n’avait pas eu l’occasion de voir ces villages.
Ce qui nous intéressait était de parler aux Syriens anonymes, chrétiens ou musulmans. Ces gens ont choisi de continuer à vivre sur une terre qui ne voulait plus d’eux, lorsque c’était peut-être plus simple de prendre la route de l’exil.
Quelles étaient les réactions des Syriens lorsque vous leur présentiez votre projet ?
Ils sont très heureux de voir que des étrangers viennent et s’intéressent à eux : c’est une façon pour eux de ressentir qu’ils ne sont pas abandonnés par le reste du monde.
En allant dans des lieux confrontés à des drames, à une misère ultime, on pensait rencontrer des personnes abattues ; et c’était tout le contraire. Ce sont des personnes qui sont plus vivantes que vous – vivantes parce qu’elles ont vu la mort et qu’elles s’accrochent à la vie pour elles-mêmes, pour leurs enfants.
Regarder votre documentaire, c’est, à l’instar des volontaires humanitaires sur le terrain, aller à la rencontre de la Syrie et de ses habitants…
Voilà comment des gens ordinaires face à des événements extraordinaires, au sens premier du terme, se comportent : c’est ce qui était important à aller chercher.
Une famille dévastée par la guerre va tout de même vous accueillir avec une chaleur incroyable, celle du coeur telle qu’on ne la connaît plus très bien. Ils vous offrent ce qu’ils n’ont pas pour eux-mêmes et on ne peut rien contre ces marques de gentillesse. On avait l’impression d’être auprès de gens qu’on a toujours connus. C’est quelque chose qui frappe toute personne qui se rend dans un lieu meurtri par le conflit : malgré la désolation, on peut y rencontrer le meilleur de l’être humain.
Quel sens donner au parallèle que vous dressez entre les populations et ce patrimoine millénaire, victime aussi des destructions ?
Le christianisme d’Orient, ce sont des gens et ces pierres qui sont vivantes justement grâce à eux. L’un et l’autre sont liés. Ce n’est pas juste un patrimoine mort.
Ce sont les terres où le christianisme est né, où il a toujours vécu et où il est aujourd’hui en péril, comme c’est le cas depuis des siècles – mais peut-être de façon ultime cette fois. On a bien peur que cette guerre ait été un peu leur chant du cygne. On ne pouvait pas rester là sans en parler.
Vos images épousent la puissance suggestive et la vitalité de leurs mots. Est-ce là un indice pour saisir la force qu’ils ont en eux ?
Ils vont à l’essentiel, ils savent qu’il faut témoigner de quelque chose qui échappera à beaucoup de gens – la puissance du drame, la dureté de leur condition. Autant pour les chrétiens que pour les musulmans, rien n’est envisageable sans le prisme divin. Ils ont encore ce lien fondamental avec ces choses qu’on a évacuées en Europe ; c’est aussi la source de leur espoir.
Les messages d’espérance se font écho tout du long. Finalement, ce voyage nous ferait-il pas découvrir sans cesse une seule chose essentielle ?
Voir que les gens essayent de reconstruire leurs maisons, cela fait partie de ces actes concrets qui redonnent de l’espoir.
A la fin, la jeune infirmière musulmane évolue dans Alep-est au milieu d’un paysage lunaire où il ne reste pas une pierre sur l’autre. En dépit de ce qu’elle a vécu, elle veut continuer à participer à l’avenir de son pays. C’est l’espérance au milieu de ce chaos. Ce sont des leçons de vie. Elle fait partie de ces personnes, on les rencontre une fois et on ne les oublie jamais.
Un article de Sixtine Molia