« Vendredi 1er décembre, nous voilà partis à la rencontre d’une famille chrétienne vivant à Erbil dans une maison du quartier d’Ankawa. Nous apportons pour le déjeuner les ingrédients nécessaires à la préparation d’un délicieux plat traditionnel que nous partagerons en compagnie de Robert, le père de famille, et d’Aliak, sa fille. Robert s’excuse de l’absence de sa femme et de ses deux fils qui sont au travail : l’un des garçons est électricien, l’autre, avec sa mère, occupe un emploi dans une pâtisserie.
Cette famille est d’origine arménienne. Fuyant avec ses parents le génocide arménien en cours en Turquie en 1915, le grand-père de Robert, alors enfant, trouve refuge en Irak. Robert est né à Bagdad, ville qu’il a quittée au début des années 2000 pour s’installer à Erbil, en tant que technicien à l’aéroport. Les membres de sa famille l’ont rejoint en 2010, craignant pour leur vie face à la montée en puissance des groupes djihadistes et suite à l’attentat perpétré dans la cathédrale Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours de Bagdad.
Un repas préparé et partagé en commun est un temps privilégié de découverte, d’échange et de lien. Aliak nous sert d’abord un café dans le salon. Nous discutons longuement, de leur histoire familiale et des membres de la famille installés à l’étranger, de leur vie actuelle, des difficultés d’emplois pour la population, du rôle crucial de l’Eglise dans le soutien apporté aux membres de la communauté chrétienne.
Robert revient sur sa jeunesse. A 18 ans, en 1982, il s’engage dans l’armée irakienne alors en guerre contre l’Iran. Il est capturé et retenu près de quatre mois comme otage. Libéré, il reprend du service, cette fois dans la guerre déclarée par Saddam Hussein contre le Koweït. Robert laisse entendre la nostalgie qu’il a des années soixante-dix et quatre-vingt, quand l’économie irakienne était florissante, le dinar solide et le salaire des hommes suffisamment élevés pour subvenir aux besoins de leur famille.
Aliak nous invite ensuite à la suivre dans la cuisine pour l’aider à préparer le déjeuner : riz beryani, accompagné de poulet, d’amandes grillées et de raisons secs, dés de pommes de terre frites, et kubas tapsi bathenjan (boulettes de boulghour fourrées à la viande de bœuf avec aubergines, champignons, oignons, tomates mijotés). Tout le monde s’attelle joyeusement à la tâche. Vient le temps du repas, pris dans la salle à manger. Un tableau représentant Jésus dans un ample vêtement bleu, méditant au sommet d’une colline, sous les étoiles, couve de son tendre regard notre petite assemblée.
Cette belle rencontre s’achève autour d’un thé et de plusieurs parties de tawla (backgammon). En joueur affuté, et avec le sourire, Robert nous ôte rapidement tout espoir de briller. Nous mettons un terme à notre débâcle sur le score de quatre à zéro. Robert clôt cet intermède ludique sur une poignée de main franche et chaleureuse.
Il est maintenant temps de quitter nos hôtes. Bref instant de vie partagé, mais intense, et au cours duquel l’essentiel s’est avéré : nous avons donné et nous avons reçu. Notre cœur s’en va confiant, conscient qu’en toute chose rien ne peut remplacer la rencontre avec son semblable, à la fois si proche et si différent.
Nous confions Robert et sa famille à vos prières ainsi que toutes les familles irakiennes qui ont subi la guerre. »