De mes 4 mois de mission en Syrie, je retiens en priorité le courage, la fierté du peuple syrien et leur foi inébranlable dans un pays très durement touché par les sanctions internationales qui rendent leur vie au quotidien pire que durant la guerre.
J’ai rencontré ;
Des femmes battantes, investies dans les chorales de leurs paroisses, dans des œuvres caritatives, auto-entrepreneurs, souvent piliers de famille, qui, souvent, en plus de gérer mari et enfants, travaillent, ont à cœur de garder un lien social et prennent des cours de français le soir par amour de notre langue.
Des jeunes joyeux, attachants, enthousiastes, curieux, participant activement aux activités des associations de scoutisme leur permettant l’ouverture à l’autre et un épanouissement à travers le sport et les arts, et mettant ainsi, entre parenthèses, durant quelques heures, leur situation difficile.
Des étudiants courageux, qui, en parallèle de leurs études, sont volontaires pour SOS Chrétiens d’Orient, prennent des cours de français et travaillent pour pallier aux difficultés de la vie économique et à la cherté de la vie.
Des enfants dont le visage s’illumine dès qu’on leur propose de dessiner, de jouer.
Des hommes non résignés à la fatalité qui travaillent pour reconstruire leur échoppe, leur maison, voire leur ville, des dommages de la guerre civile ou du tremblement de terre de 2023.
J’ai découvert les rits chrétiens orientaux dans des églises de toute beauté (dont beaucoup ont été saccagées durant la guerre et reconstruites depuis) où les offices, bien qu’en syriaque, araméen, arabe ou arménien étaient d’autant plus sacrés et émouvants que la ferveur des très nombreux fidèles était forte, souvent portée par les chants magnifiques des chorales. L’Eglise d’Orient est l’Eglise de l’Espérance.
J’ai été très émue par tous ces MERCI de personnes plongées dans un grand dénuement auxquelles nous apportions, soit une présence, soit une aide concrète par nos visites régulières, pour rendre leur quotidien meilleur ; souvent les yeux embués de larmes mais un large sourire illuminant leurs visages. Et toujours présente l’hospitalité orientale : une invitation à partager un café que parfois nous ne pouvions honorer, faute de temps.
Arrivée début décembre, je suis restée quinze jours à Damas pour m’acclimater au fonctionnement de l’équipe et j’ai été heureuse de contribuer aux centaines d’emballages cadeaux de pyjamas, robes de chambre, bonnet, écharpes, sweat-shirts que nous avons distribué aux maisons de retraite, dans un orphelinat et dans le service cancérologie pour enfants d’un hôpital pour les fêtes de Noël. Quelle joie pour moi, volontaire, de me sentir ainsi utile et de pouvoir donner un peu de chaleur et de réconfort à ces personnes. Il faut savoir qu’en Syrie depuis la guerre, l’électricité publique est défaillante et que par conséquent, aucun établissement, maison ou appartement n’est chauffé correctement. L’hiver peut être très rigoureux.
J’ai fêté la nouvelle année 2024 à Alep où je suis restée jusqu’à la fin de ma mission.
En compagnie d’Antoine, nous n’avons pas chômé !
Plusieurs matinées par semaine, nous nous rendions avec entrain chez les franciscains. Une équipe de 25 personnes travaille en cuisine pour préparer des repas chauds pour plus de 800 personnes. Selon les arrivages de légumes, j’ai participé à l’épluchage, à la découpe de centaines de kilos de pommes de terre, choux, betteraves, carottes, blettes…ou au tri des feuilles de moulourié ou des grains de bourghoul dans une ambiance très joyeuse parmi un groupe de femmes et d’hommes qui plaisantaient, riaient, chantaient tout en effectuant leur travail efficacement.
Notre aide était d’autant plus précieuse que le nombre de plats à servir ou à livrer à domicile devait être terminé dans un créneau horaire bien précis.
Participer à des activités avec la jeunesse syrienne m’a beaucoup apporté car très vite je me suis rendue compte que de leur côté aussi, ils étaient curieux et avides de contacts. Que ce soit avec les salésiens ou les membres de la FDJ (Fédération Des Jeunes, associé à l’église arménienne de Syrie), une même soif de lien social les anime et la transmission de valeurs liées à des règles s’apparentant au scoutisme comme l’écoute, le respect, la discipline, le partage, la foi, leur permet de s’ancrer dans le réel et d’avoir confiance en eux.
Du fait de la guerre et du tremblement de terre, beaucoup de familles ont été disloquées et nombre de personnes âgées se sont retrouvées seules, isolées. Par choix ou par nécessité, celles-ci ont vendu leur maison et sont maintenant dans des maisons de retraite, rassurées par la présence du personnel compétent en cas de souci médical, mais surtout entourées par d’autres résidents, avec qui elles peuvent papoter et qui, parfois, se sont trouvés être leurs voisins quelques années auparavant. Leur rendre visite chaque semaine représente une bouffée d’oxygène pour eux et m’a permis de rencontrer des papy et mamies adorables, ravis de me raconter leurs souvenirs, des anecdotes sur leur vie de famille aleppine. Le temps passé en leur compagnie passait toujours très vite et nous étions toujours attendus avec impatience.
L’orphelinat arménien de Saint-Grégoire est aussi une visite incontournable hebdomadaire. Là-bas aussi, dès que l’on passe la porte, ce ne sont que des cris : « ball please, cards, UNO, UNO !! » Par petits groupes, garçons et filles s’installent à même le sol et réclament des parties d’UNO sans interruption ou des jeux de cartes pour en faire des châteaux.
Grâce au Centre Culturel de SOS Chrétiens d’Orient à Alep qui propose des cours de dessin, de musique et de français, j’ai pu écouter des jeunes talentueux jouer du violon, du oud, de la flûte ou du qânoun.
Grâce à la gentillesse de Rita et Katia, j’ai croisé et échangé avec des jeunes et des adultes qui suivent des cours de français, qui sont très curieux et posent beaucoup de questions au sujet de ma présence ici : que vient faire en Syrie une jeune retraitée de 63 ans ? Est-ce que j’aime Alep ? pourquoi ?… Nous échangerons des « tuyaux » sur la vie aleppine et des adresses de pâtisseries.
J’ai également admiré le talent de Houry, professeur de dessin, qui fait faire aux enfants des merveilles en une heure de cours.
Bien sûr j’ai progressé en langue arabe, mais pas en classique car ici on parle le syrien : beaucoup de mots sont totalement différents mais Mona est un excellent professeur ! Bon an, mal an, je peux dire l’heure et utiliser les verbes les plus usuels du quotidien dans des phrases courtes et utiles. Il faudrait que je revienne 6 mois pour être plus à l’aise !
La Syrie est une terre chrétienne millénaire où des apôtres et des saints ont marqué leur passage : saint Pierre, saint Paul, saint Serges et saint Bacchus, saint Siméon le styliste, sainte Thècle, saint Elie…
C’est aussi un pays très riche historiquement qui a connu l’occupation romaine, byzantine, arabe et les croisés francs, et qui a encore aujourd’hui un patrimoine culturel très important, fruit de cet héritage.
Les visites culturelles que nous avons eu la chance d’effectuer avaient donc toujours un lien avec ce passé comme Maaloula, un village chrétien blotti au pied de hautes falaises où quelques personnes parlent encore l’araméen (la langue du Christ). Village martyr aussi où les combattants islamistes y ont détruit églises et monastères et ont assassiné des habitants qui refusaient d’abjurer leur foi chrétienne en Septembre 2013.
Dimanche midi, les cloches sonnent l’Angélus et au sommet de la falaise, je suis assise derrière la haute statue de la Vierge qui protège Maaloula : la voix de cristal de Fayrouz résonne et mon âme s’élève.
Revoir Palmyre était un rêve que je n’osais imaginer durant ma mission : fouler à nouveau ce site archéologique classé au Patrimoine de l’Unesco en 1980 (l’un des plus emblématiques de Syrie) et surtout inscrit comme site en péril depuis 2013 après les destructions commisses par Daech était impressionnant.
Déambuler parmi les ruines du temple de Bâal, longer la prestigieuse colonnade, contempler l’étendue du site depuis les gradins du théâtre ne peut que nous rendre humble face à la richesse et grandeur de ces époques passées, à la sagesse de ces gouvernants successifs incluant la mythique reine Zénobie et à l’importance du legs de l’Histoire pour l’Humanité.
Les vieilles églises de Tartous témoignent également de la présence ancestrale des chrétiens sur cette terre : celle transformée en musée maintenant datant de 1105 après JC (dans laquelle une icône miraculeuse attribuée à saint Luc aurait été trouvée), et qui, au fil des occupations aura été une mosquée puis une forteresse défensive.
L’ancienne cathédrale, dont une partie de la nef de la salle capitulaire, résiste au temps dans les soubassements de la vieille ville malgré les habitations hétéroclites qui sont venues se greffer le long de ses murs.
Ayant passé 3 mois de mission à Alep, j’ai aussi eu la chance de voir progresser les travaux de réhabilitation des souks grâce à la Fondation Aga Khan, de visiter l’imposante citadelle rouverte au public après réparation des dommages causés par le tremblement de terre.
Les quartiers d’Alep sont très contrastés. À l’est, et en raison de son occupation par les djihadistes durant la guerre civile, les destructions sont nombreuses et massives. A l’ouest et au centre, elles ont été ciblées : églises, le vieux quartier chrétien de Jdeidé, maisons ou immeubles sur la ligne de front. J’ai été heureuse de contribuer, grâce à SOS Chrétiens d’Orient, à la réhabilitation d’un appartement dans le quartier arménien de Midan fortement touché par le tremblement de terre
Je garderai longtemps dans mes pensées et prières Vivi, Alfred, Tata Marie, Norma mais aussi Rita, Katia, Léa, Joëlle, Aline, Roba, Alexandre, Meho, Edmond, Marco, Marcel, Frère Harout, Sœur Pascale, Sœur Marie-Claire, Gina, Moussa, Madeleine, Soussou, Julietta, Tante Madeleine, Tante Alla, Judith, Suzanne, Mona, Rhamez, Abou Philippe et tant d’autres…qui m’ont beaucoup apporté par leurs témoignages de sympathie et tous les volontaires syriens que j’ai côtoyé durant ces tournées aleppines de donations.
Mon témoignage ne serait pas complet si je ne remerciais Wael, Jean-Rémi, Jeanne et Antoine et les collaborateurs de l’association à Damas, Homs et Alep pour leur accueil et leur gentillesse.
Florence, volontaire en Syrie
Responsable des volontaires