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280 familles égyptiennes démunies aidées en trois heures

Entre les plaines du Nil et les contreforts de collines calcaires abritant des églises troglodytiques, les volontaires réalisent une donation de 280 colis alimentaires aux familles les plus pauvres de Deir Rifa alors que s’élève le sable en volute de fumée et que le soleil irradie de ses rayons la terre aride d’Haute-Egypte. Une mission de trois heures dans des conditions climatiques éprouvantes qui les a poussés à redoubler de volonté pour mener à bien l’opération.

Nous sommes à Deir Rifa, un village de 8,000 chrétiens vivant aux pieds du Monastère Saint-Théodore le Levantin, où, au IVème siècle de notre ère, des moines ont investi d’anciennes tombes pharaoniques pour en faire un lieu de vie et de prières.
 
L’air est pesant, le moindre pas pompe l’énergie, la respiration se fait haletante, lourde et saccadée. Dans les rues désertées par les villageois, quelques enfants vêtus de galabeya, claquettes en plastique ou pieds nu, errent entre les lotissements en briques décolorées par le temps. Assis sur des sièges improvisés, des vieillards observent sans mot dire les allers-venues des tricycles conduits par des adolescents ou des tracteurs transportant du fumier. Dans un coin d’ombre, deux ânes attelés à une charrette se blottissent l’un contre l’autre.
 
Situé aux pieds de la montagne, ce village nous offre une vraie bouffée d’oxygène. Habitués à la pollution étouffante du Caire, nous respirons à grands poumons l’air de la Haute-Égypte, tout en admirant l’ombre des palmiers qui se découpent dans le ciel, les champs plongés dans une demie pénombre et les croix illuminées du cloché appelant à la prière.
 
Notre fine équipe de cinq volontaires, guidée par Jeanne de Verdière, responsable des volontaires et George Shafik, responsable des volontaires en Egypte, a rendez-vous à 16h dans l’église de Saint-Mina en cours de construction pour préparer 280 colis alimentaires composés de denrées essentielles.
 
Dans la voiture, toutes fenêtres ouvertes, et alors que défilent les oasis verdoyantes aux cultures fertiles, bordées de palmiers aux gerbes dandinant avec le vent, l’ambiance est joyeuse. Tour à tour et en chœur, nous reprenons les grands classiques de Dalida, « Paroles », « Je suis malade » et « le temps des fleurs », adaptant quelques paroles par méconnaissance de ces œuvres musicales.
Nous retrouvons la seconde équipe aux abords de l’église. Pour l’instant, tout semble calme et désert. Trois militaires assis sur des chaises en plastique se dorent au soleil, observant avec curiosité ce ballet d’étrangers s’agitant anarchiquement de droite et de gauche. Tout ce remue-ménage n’est pas pour leur déplaire mais brise la quiétude de ces rues complètement vides et reposantes. A quelques mètres au-dessus de nous, sur des échafaudages branlants, deux ouvriers bourrinent une dalle harmonieuse et lisse pour lui donner un effet granuleux.
 
En attendant de commencer l’empaquetage, nous prenons le parti, avec Jeanne, de partir à la découverte du lieu. Des briques rouges sont empilées en formation serrées en plein milieu de l’une d’elles, à côté d’un tas de sable barrant amplement la chaussée et contraignant tous les véhicules à faire un détour pour éviter l’obstacle. Sur la droite, un camion de chantier conduit par un Egyptien tout sourire, verse et déverse inlassablement des tonnes de terre pour terrasser ce qui semble être les fondations d’un futur immeuble. A proximité, sous l’œil avisé d’une femme tout de noir vêtue, un comparse arrose abondamment ce tas à l’aide d’un tuyau d’arrosage emmêlé comme un serpent s’agitant sur le sol pour échapper à une proie. Sur ma gauche, un chien noir commence à gronder. Je n’y prête pas grand cas jusqu’à ce qu’il se fasse menaçant. Nous n’insistons pas et préférons rebrousser chemin.
A l’entrée de l’église, c’est l’effervescence, comme une ruche bourdonnante d’activités. A terre contre le mur d’un couloir poussiéreux et semi-obscur, des sacs alimentaires sont disposés en vrac pour faciliter la formation d’une chaîne. Très vite et naturellement la fourmilière s’organise. Certains se postent en équilibre précaire entre les sacs, d’autres font les allers-retours entre les différents postes, un sac noir ouvert dans les mains pour recueillir facilement les produits. Le travail est répétitif, parfois laborieux et méticuleux mais absolument indispensable.
 
Du riz, de l’huile, des pâtes, du sucre, du thé, des lentilles, des fèves ou encore du fromage. Avec application, l’équipe s’affaire… perdant rapidement la notion du temps qui passe et du nombre de sacs.
 
En bout de chaîne, un enfant, vêtu d’une galabeya grise, s’affaire avec patience et volonté à la fermeture des colis. A ses côtés, un homme palpe tous les colis s’assurant ainsi que rien ne manque. L’un d’entre eux semble trop léger, il s’interroge, déplace ses mains habiles autour du sac, l’ouvre frénétiquement, se lève, s’empare d’une bouteille d’huile d’olive, la dépose dans le sac, le referme adroitement avant de le déposer sur la pile anarchique de colis.
 
Les minutes s’égrènent lentement, martelant nos efforts de leur rythme continue. Un enfant, particulièrement fier de son tee shirt New York city, un peu trop occupé à déguster sa glace au chocolat dégoulinante s’empare d’un colis sans prêter attention à la chaîne et d’un geste furtif le pose nonchalamment dans les colis terminés. Immédiatement, c’est la cohue. Un adulte s’empare du colis pour le compléter, un autre n’ayant pas assisté à la scène rabroue un enfant totalement innocent qui sans demander son reste s’enfuit sans mots dire. Son aide était pourtant très précieuse. Le fautif s’en sort à bon compte et inconscient du bazar engendré, s’en va s’asseoir sur les marches de pierre contigües pour continuer la dégustation de son cornet de glace.
Un cri désespéré retentit. Un sac de sucre vient de glisser de la main de son détenteur et son contenu blanchâtre se déverse lentement mais sûrement sur les cartons au grand effroi des âmes en peine alentours tentant par tous les moyens d’enrayer l’hémorragie.
En 40 minutes, tous les sacs sont constitués. L’équipe n’a pas le temps de souffler que les tricycles se positionnent déjà devant les portes. Une nouvelle chaîne s’organise. Il faut déplacer l’intégralité des sacs dans les bennes. « Un, deux, trois, quatre, …. Soixante, soixante-et-un » Georges compte méticuleusement chaque sac avant de les déposer de façon ordonnée. Une fois le premier tricycle rempli, nous nous attaquons au remplissage du second, en prêtant attention de conserver un peu d’espace vide pour nous permettre de grimper dans le fourgon. Deir Rifa n’est pas bien grand mais les allers-retours à pieds accélèreraient de façon précoce l’apparition des premiers signaux de fatigue et rendraient notre action moins efficace. Il est 17h27, la mission principale de notre journée commence : distribuer les 280 colis aux familles les plus démunies.
 
Dans notre groupe de six, nous sommes accompagnés par un responsable de l’Eglise, en charge de veiller à ce que chaque sac soit distribué à la bonne famille. Muni d’une feuille de papier crayonnée, il coche inlassablement chaque nom et prénom une fois le colis transmis, haussant la voix pour se faire respecter et gesticulant de toutes parts pour se faire comprendre.
Des sourires nous accueillent à chaque coin de rue. A mesure que nous pénétrons plus avant dans le village, les rues se font moins désertes et plus animées. Sur une petite place, l’on peut voir des vieillards à la barbe minimaliste, accroupis contre le mur, un père édenté portant dans ses bras sa petite fille pieds nus alors qu’un jeune garçon enfourche un âne, une charrette pleine de pastèques autour de laquelle s’attroupe quelques femmes à la recherche d’un fruit frais pour rassasier les appétits les plus voraces ou encore une vieille femme unijambiste s’aidant de ses béquilles pour avancer maladroitement sur les chemins caillouteux du village.
A chacun de nos passages par monts et par vaux, une tripotée d’enfants accourent derrière le tricycle, certains empoignant le rebord pour grimper à notre côté, d’autres nous saluant de la main et nous demandant nos prénoms. A l’entrée des maisons, des femmes papotent entre elles.
 
Nous voyant arriver, elles laissent leur activité de femme d’intérieur : vaisselle, linge, babysitting, pour récupérer le précieux sac.
Nous pénétrons chez une femme âgée. Son sourire chaleureux fait oublier la pauvreté dans laquelle elle vit. Dans la petite pièce aux murs entièrement vierges, une table et une banquette. Sur l’un des quatre murs de la maison, une carte de 10 cm de haut, représentant la sainte Vierge Marie.
 
Chez une autre, en pénétrant sur le seuil de sa porte, l’on devine la dureté de ses conditions de vie. Une paillasse en guise de lit, une chaise et une table. Rien d’autre. Dans un coin de la pièce, deux petits pigeons ramassent quelques miettes.
Au dehors, un attroupement vient de se faire autour de notre tricycle. Une marée humaine s’est déversée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est la cohue. De toutes parts, les mains tentent de saisir les sachets noirs sans attendre notre validation… alors les mots fusent et les mains s’agitent en signe de mécontentement. Nous pouvons aussi bien nous imaginer dans une basse-cour que dans un marché de fruits et légumes très animé. Malicieusement, un jeune garçon dégustant une tasse de thé, m’adresse un regard entendu pendant qu’un autre, encore tout barbouillé de chocolat, s’assis confortablement sur le guidon du tricycle pour prendre de la hauteur vis-à-vis de la situation. Un autre de ses collègues s’amuse bruyamment avec le klaxon pendant qu’un dernier ne cesse de me tapoter le bras en me demandant avec grande insistance mon prénom.
 
Trois veuves, reconnaissables à leur longue galabeya noire, s’avancent vers nous, esquissent un sourire et se positionnent sur le pas de la porte pour nous dire au-revoir.
 
L’inconfort extrême du tricycle nous pousse à en descendre et à continuer à pieds. L’on se croirait balloter de droite et gauche comme dans un bateau sur une mer déchaînée. A chaque nouveau coin de rue, des sourires, des poignées de mains ou des saluts. Un réconfort certain pour nous car la chaleur étouffante de cette fin de journée commence à lourdement peser sur notre capacité de concentration et sur notre motivation. Ce n’est pas que cela nous coûte d’être là mais notre niveau de batterie énergétique s’épuise de minutes en minutes. Pour autant, nous donnons le change et poursuivons avec entrain.
 
Un camion lourdement chargé s’apprête à quitter la ville, un enfant en survêtement profite des derniers rayons du soleil pour se promener sur un vaste terrain sablonneux et caillouteux, une personne handicapée allongée sur le sol de son appartement au seuil de sa porte me reconnaît de loin et me sourit alors que se poursuivent encore et toujours les donations.
 
280 colis alimentaire, 3h de donation… un sentiment d’accomplissement et de dépassement. Tel est notre quotidien, une fois par mois à Deir Rifa !