Perché sur les hauteurs de Beyrouth, le monastère Sainte-Thècle surplombe la vallée. Par une matinée douce, nous nous retrouvons dans ses jardins pour planter des arbres fruitiers. Munis de nos outils, nous retournons la terre sèche et éliminons les mauvaises herbes, préparant ainsi le sol à accueillir de nouvelles cultures.
« Ce matin-là, c’est avec joie que je reçois le mal de dos, c’est avec entrain que je reçois les coups de ma fatigue. Pas seulement parce qu’ils plaisent à Dieu, mais parce que je travaille à des belles œuvres.
Je travaille à des belles œuvres, dans le monastère maronite de Sainte Thècle – que nous aidons plusieurs fois par semaine- avec des personnes dont j’apprécie la compagnie : un fermier syrien nommé Ahmad, l’assistante du moine nommé Sacha et les volontaires. Notre tâche du jour est de préparer la terre de ce jardin, ou plus précisément : le modeler, en prévision des prochaines cultures.
Le modeler est le terme idéal ! Après avoir désherbé toute la surface, à l’outil pour le gros, à la main pour le menu (car certaines herbes prennent racines si profondément en terre que seule la volonté précise de nos mains peut les en déloger), trois équipes se séparent. Certains rassemblent, au râteau, les herbes et feuilles mortes, pendant que d’autres agglomèrent sur des bâches le fourmillement (comme encore pleines de vie) des feuilles mortes pour les transporter jusqu’au jardin. Là, à la nature son devoir ! De ces déchets, elle en tire effectivement la vie. Voilà les impressions imprégner les sens, selon leurs moyens, de vérité…
De l’autre côté du jardin, je suis avec Ahmad, et nous retournons la terre de nos bêches, comme des fourmis qui s’activent à un édifice qui les dépasse.
Ahmad retrouvera sa patrie dans 3 mois, après 10 ans d’exil. Je devrais retrouver la mienne dans 5 mois, soit avant les récoltes, après 1 an de volontariat. Lui et moi discutons pendant que nous travaillons. Je remarque en son âme l’empathie que j’ai tant rencontrée en Syrie, celle qui lui fait voir en chacun ses plus belles qualités, qu’il semble seulement relever quand, en vérité, il les pérennise par sa gentillesse… Il me dit que je travaille bien.
Le terme modeler, en parlant de ce jardin, est-il un euphémisme ? S’il est méconnaissable après notre travail, il est très différent après que Louise ait fait s’écrouler un mur sur lequel elle a grimpé. La troupe est hilare.
Nous règlerons cette gaffe plus tard, l’heure est au déjeuner. Lidia, la cuisinière qui nous connaît désormais, fait de sa cuisine le symbole de l’attention qu’elle nous porte… Elle apporte de la salade, des pâtes, des bureks, et du poulet confit aux pommes de terre. « J’ai entendu dire que vous aimiez ça » dit avec finesse humoristique père Habib, qui déjeune avec nous. C’est vrai que nous avions fini le plat, la dernière fois !
Père Habib est professeur de théologie, et expert dans l’interprétation de la Bible. Logiquement, la discussion se porte sur les différents livres qui la composent, qu’ils soient admis, ou non, par l’Eglise catholique… Et logiquement, on en vient à parler ceux non admis, les écrits apocryphes. Si certains nuancent notre foi par le ressenti personnel de la foi de leurs auteurs, d’autres siéraient avec éclat aux jugements qu’en tirerait saint Louis, les mêmes qu’il tira par le passé, devant le parvis de Notre Dame… Le bon vieux temps, celui d’un doux rêve maintes fois déçu en nos ans de disgrâce. Enfin, et la question suit la discussion, quel est le livre biblique préféré du père Habib ? « Le livre de Job, car il traite de questions que tous se sont déjà posés, comme la comptabilité de l’existence du mal et de l’existence de Dieu. »
Lidia me tire de mes rêveries, lorsqu’elle pose sur la table des gâteaux fourrés aux noix. »