Depuis 4 ans, l’Etat libanais ne donne plus de subventions aux écoles semi-gratuites. De nombreux professeurs ne sont plus payés ou perçoivent un faible salaire. Si on ajoute la dévaluation de la livre, le salaire d’un professeur au Liban est passé en un an de 1200$ en moyenne à seulement 80$.En plus de cela, de nombreux parents n’ont plus les moyens de payer la scolarité de leurs enfants. L’inflation vertigineuse a fait passer la scolarité en bas de la liste des priorités.
Nous le voyons quotidiennement lorsque nous visitons des familles nécessiteuses. Des familles qui, il y a quelques mois encore constituaient la classe moyenne, ne s’en sortent plus. Les factures d’électricité ont explosé, le prix des denrées de base (nourriture, hygiène…) aussi. Récemment, une directrice nous expliquait que sur les 180 enfants de son école, seuls 8 ont payé leurs frais de scolarité pour cette nouvelle année.
Pour répondre à cette urgence, SOS Chrétiens d’Orient a lancé un programme de financement de la scolarité de 8.000 élèves de 18 écoles semi-gratuites, tenues par des religieuses et des religieux. Les dons seront utilisés en priorité pour payer le complément de salaire des professeurs. Ainsi, non seulement les enfants suivront les cours, mais leurs enseignants vivront également dignement.
C’est dans le cadre de ce programme que nous partons un lundi matin à Rmeich, petit village chrétien du sud du Liban, situé dans la zone contrôlée par la FINUL1 et le Hezbollah. Après trois heures d’une route ponctuée de points de contrôle, parée sur plusieurs kilomètres de drapeaux du Hezbollah et sur laquelle nous croisons de nombreux véhicules de l’ONU, nous arrivons à l’école Notre-Dame du Liban, tenue par les sœurs Antonines. Elles accueillent plus de 500 élèves, de la maternelle au brevet.
Les enfants reprennent l’école dans 2 jours mais les préoccupations matérielles entament la joie des sœurs de retrouver leurs élèves après deux ans de séparation. Car bien avant le Covid, la “thaoura” (révolution en français), qui avait secoué le pays en octobre 2019, avait forcé de nombreuses écoles à fermer leurs portes à cause des blocages.
Autour d’un plat de taboulé et de houmous, sœur Marie et sœur Joséphine ne peuvent s’empêcher de nous partager leurs inquiétudes. Elles n’ont plus les moyens d’acheter les fournitures scolaires de base pour la bonne tenue des cours. Papiers, crayons, tout manque et tout est devenu inaccessible. Malgré tout, elles se battent quotidiennement pour trouver des solutions et offrir à leurs élèves la rentrée qu’ils méritent.
Mais la crise de l’essence complique encore la situation. En quatre mois, le gouvernement a levé les subventions et le prix de l’essence a quadruplé. Dans une région où les élèves sont disséminés dans les villages environnants, beaucoup ne pourront sans doute pas se déplacer jusqu’à l’école. A l’aube de la rentrée, les Soeurs craignent d’avoir des classes à moitié vides. Et le même problème se pose pour les enseignants. Avec leur salaire actuel, ils ne peuvent payer que l’équivalent de deux pleins par mois.
A chaque problème, les sœurs réfléchissent à toutes les solutions possibles. Sœur Marie nous explique qu’elle prie beaucoup, bien entendu, mais qu’il ne faut pas non plus oublier de retrousser ses manches et se battre. Pour résoudre le problème des transports, elles ont mis en contact les familles voisines afin qu’elles organisent des covoiturages. Elles ont également contacté les paroisses pour qu’elles leur mettent à disposition des cars de ramassage scolaire.
L’an dernier, alors que tous les enfants étaient confinés chez eux, elles ont intégralement repensé l’organisation des cours. Dans de nombreuses familles, il n’y a qu’un seul ordinateur ou téléphone pour suivre les cours en ligne. Elles ont donc fait en sorte que les cours des différents niveaux ne se chevauchent pas, en calquant également ce découpage sur la disponibilité des parents. De 9h à 11h étaient donnés les cours aux plus petits, puis en début d’après-midi, quand les parents rentrent du travail et sont plus disponibles pour aider, ceux aux élèves du primaire.
Elles sont même allées plus loin. Au Liban, l’Etat via l’EDL (Electricité Du Liban) ne fournit qu’une à deux heures d’électricité par jour. Le restant est fourni par des générateurs gérés par des sociétés privées. Avant la crise, alors que le mazout était disponible en quantité, il n’y avait quasiment pas de coupures. Mais aujourd’hui, même avec un générateur, les Libanais ont entre 10 et 15 heures d’électricité par jour, pour ceux qui ont les moyens de payer cette source complémentaire d’énergie. Comment faire dans ces conditions pour assurer des classes virtuelles, qui nécessitent de la batterie et du wifi ? L’équipe de l’école a contacté les propriétaires de générateurs de la région pour anticiper les horaires de coupure et ainsi éviter autant que possible de mettre des cours à ce moment-là.
Elles ont également suivi elles-mêmes les enfants dont elles sentaient qu’ils décrochaient ou n’étaient pas dans des conditions favorables. Quelle force, quelle volonté émane de ces petits bouts de femme qui font passer les enfants avant toute chose.
Dans la voiture du retour, nous échangeons avec le chef de mission sur le témoignage que nous venons d’avoir. Sur leur courage mais aussi sur la détresse matérielle dans laquelle l’école se trouve aujourd’hui.
Trois semaines plus tard, nous voilà de retour dans le Sud. Sur la route, nous nous arrêtons chez Pierre Habib, enseignant de l’école qui tient une petite librairie, et nous achetons des fournitures scolaires pour 80 enfants. Comme l’a dit sœur Emmanuelle, ce n’est sans doute qu’une goutte d’eau dans l’océan, mais si elle n’était pas là elle manquerait.
Nous arrivons à l’école à l’heure du déjeuner. Les enfants mangent sagement en classe, vêtus de leurs blouses d’écoliers. Puis vient enfin l’heure tant attendue de la récréation. Sur le visage des enseignants et des sœurs se reflète la joie des enfants, celle d’être présents, ensemble, insouciants.
Bien sûr tout n’est pas rose et la directrice nous fait part des nouveaux problèmes auxquels elles sont confrontées. Après deux ans sans école, les enfants ont du mal à se concentrer et se montrent parfois agressifs. Mais comme nous le disent souvent les Libanais, « petit à petit l’oiseau fait son nid ».
Il faudra du temps bien sûr pour s’apprivoiser à nouveau et toujours garder l’espoir que la situation s’améliore ou, tout au moins, n’empire pas, que chaque jour il y aura assez d’essence pour qu’enfin les enfants libanais aient la scolarité qu’ils méritent. C’est pour cela que les sœurs de Rmeich se battent chaque jour.
Soutenez notre programme de scolarisation. Avec 60€, vous financez la scolarité d’un enfant libanais pendant 6 mois et lui donnez l’espoir d’un avenir meilleur.
1) FORCE INTÉRIMAIRE DES NATIONS UNIES AU LIBAN – La FINUL a été créée en 1978 pour surveiller le retrait des forces israéliennes au sud du Liban. Mais les affrontements réguliers entre le Hezbollah et Israël à la frontière ont poussé le Conseil de sécurité à prolonger son mandat.
Agnès, volontaire au Liban.