Dans le quartier Al-Hamidieh de Homs, les volontaires participent tous les matins à la rénovation du logement de Nazih, qui fut bombardé et incendié durant la guerre. Évacuation de gravats, nettoyage de murs calcinés ou encore préparation de gaines murales en vue des raccordements sanitaires et électriques futurs, les tâches sont nombreuses et les matinées de travail se ponctuent toujours par un moment de partage autour d’un thé généreusement offert par Nazeh.
« Les habitants du Proche-Orient possèdent peu mais nous apportent beaucoup, à nous, Européens ». Cette phrase, prononcée à de nombreuses reprises par une jeune fille ancienne volontaire de Syrie lors de la journée de formation des volontaires à Paris, résonne fortement en moi.
Depuis mon arrivée en Syrie, je me questionne sans cesse sur le sens de cette phrase. Comment des personnes qui ne possèdent presque rien matériellement peuvent-ils nous apporter beaucoup, à nous, Européens ? Après un mois de mission, ce paradoxe commence à s’éclaircir dans mon esprit.
Le jour est déjà levé sur Homs. Il est 8h30, il me reste 15 minutes avant la prière. Je suis toujours au fond de mon lit mais décide de prendre mon courage à deux mains pour me préparer. Nous nous réunissons avec les volontaires pour la prière quotidienne à 8h45 afin de confier notre journée au Seigneur. Tout est réglé à la minute comme une horloge suisse !
A 9h00, nous partons sur le chantier de rénovation d’une maison détruite durant la guerre, lorsque Homs était occupé par les groupes armés terroristes. Ce logement, ou ce qu’il en reste, est celui de Nazih, qui vit depuis 5 ans dans la seule pièce encore habitable de sa maison, qui me semble ne mesurer qu’une dizaine de mètres carrés. Les quelques meubles, qui la composent, se comptent rapidement : trois lits aménagés en U, une petite table, un frigidaire, un butagaz.
Une petite fenêtre en hauteur permet à la lumière de s’infiltrer dans l’obscurité de la pièce. Le papier-peint effrité, recouvrant le mur, vole lorsque le vent décide de s’y engouffrer. Malgré la pauvreté de la pièce, le sourire permanent suspendu aux lèvres de Nazih y apporte un filet de lumière.
Dans la cour située au milieu de la maison, est empilée une quantité importante de débris : des seaux remplis de vieux carreaux, des bouts de murs gisant les uns sur les autres, et même une vieille armoire qui traîne parmi ce champ de ruines…
Nous nous mettons au travail. Je tombe très vite sur de vieux cahiers. Je décide d’en ouvrir un et tente de déchiffrer ce qui y est inscrit. Il semble écrit en anglais. J’interpelle alors Nazih, et lui montre le document tout en criant : « English ? ». Il me répond : « my sister teacher english ».
Malgré la différence de langue, Nazeh semble heureux d’échanger quelques mots avec moi. Il me regarde à nouveau et me dit : « dead ». Je pense avoir mal compris et l’interroge : « what ? ». Nazih s’approche alors de moi et répète : « my sister dead », tout en me montrant des photos d’elle. « My sister sick ». Je comprends alors que sa sœur était malade et qu’elle est décédée. Je ne peux pas m’empêcher de verser quelques larmes. Lui qui a déjà tout perdu à cause de la guerre… Un sentiment d’injustice m’envahit. Après quelques minutes perdues dans mes pensées, je reprends mes esprits et me remets à la tâche. Vers 11h, Nazih nous appelle : « Tea ». Nous posons nos casques et nos gants et le rejoignons, prenant place sur son lit.
Je suis réellement impressionnée par sa gentillesse profonde et sa grande hospitalité. Malgré lui, il me donne une très belle leçon de vie.
Un matin, j’aperçois au fond de la cour une porte que je décide d’ouvrir. L’odeur qui se dégage des toilettes est très forte. Je ne peux pas m’empêcher de grimacer. J’observe et je vois que le papier hygiénique n’est autre que des feuilles de vieux cahiers de mathématiques. Pour la seconde fois, j’ai l’impression de recevoir un coup de massue. Malgré cette vie difficile et ce décor de misère, Nazih est absolument charmant, sans cesse souriant…
La phrase que j’avais entendue quatre mois auparavant me revient alors en tête et je commence à en saisir toute la portée. Déboussolée, je retourne sur le chantier et récupère mon marteau et mon burin afin de retirer les vieux carreaux calcinés de l’ancienne cuisine.
Nazih observe mon travail. Je m’essuie le front, fatiguée. Il se rend compte que je bute depuis quelques minutes sur un carreau. Il s’approche de moi, souriant, prend mes instruments de travail et m’explique comment retirer ce fameux carreau. Au fur et à mesure, je prends le coup de main et j’ai l’impression d’avancer de plus en plus vite.
Jour après jour, nous apprenons à mieux le connaître et même si nous ne parlons pas la même langue, nous parvenons à nous comprendre. Il nous raconte son passé de soldat durant la guerre, alors qu’il combattait sous les ordres du célèbre « Monsieur Simon » face aux groupes armés terroristes qui menaçaient de s’emparer du village chrétien de Mhardeh.
Je l’observe et je vois dans ses yeux qu’il a souffert de cette guerre. Je ressens beaucoup de tristesse mélangée à de la joie puisque malgré toute la souffrance endurée, il reste souriant et agréable. Je ne peux cependant m’empêcher de penser à toutes ces personnes que j’ai rencontrées depuis mon arrivée. Différemment, ils sont tous accueillants, souriants et aimables malgré les horreurs vécues durant la guerre. Ils restent forts, comme Nazih, n’ont jamais abandonné et continueront à se battre pour pouvoir vivre dignement. La même force de vie m’habiterait-elle si je devais vivre pareille expérience ?
Derrière les sourires, les Syriens restent très touchés par la situation actuelle : une inflation permanente, une monnaie dévaluée, des salaires très bas, des coupures d’électricité systématiques, des pénuries d’essence…
Ainsi, je comprends. Cette phrase, entendue lors de ma journée de formation, prend aujourd’hui pleinement son sens. Je réalise aussi le rôle que j’ai à jouer. Nazih m’a beaucoup apporté humainement et cependant, si je souhaite que les personnes comme lui restent et continuent à vivre sur la terre qui les a vu naître, je me dois de les aider.
Alors je reprends mes outils et recommence à retirer les carreaux.
Avec 2500€, SOS Chrétiens d’Orient rénove un appartement d’une famille syrienne.
Victoire, volontaire en Syrie