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Timkat, une cérémonie hypnotique au pays de la Reine de Saba

Début janvier 2023, j’ai été missionnée par SOS Chrétiens d’Orient en tant que directrice de la communication digitale adjointe pour constater l’avancée des différents projets menés par l’association en Ethiopie et renforcer le lien entre chrétiens d’Orient et d’Occident en participant aux festivités de Noël et de Timkat aux côtés des Ethiopiens orthodoxes.

Alors que je monte dans l’avion, quittant à peine ma nièce qui vient de naître, un nouveau monde va s’ouvrir à moi. Et pour cause, je m’apprête à voir la vie et la joie mais aussi la mort et la misère. Je vais être le témoin d’un monde fugace qu’on oublie souvent, qu’on préfère ne pas voir et qui pourtant existe encore aujourd’hui.  

Avant mon départ, je ne connaissais pas grand-chose de l’Ethiopie. Je ne savais ni la situer sur une carte, ne connaissais ni son histoire, ni ses traditions. J’avais vaguement entendu parler des églises monolithiques de Lalibela et savais que les Ethiopiens parlaient l’Amharique (mais je ne savais pas l’orthographier). L’avantage, c’est que, ne connaissant rien, je n’avais aucune idée préconçue.   

En moins d’une journée, je me suis pris une claque dans la figure et en quelques heures j’ai compris que j’étais tombée sous le charme de ce pays.

6 janvier 2023. Sur le bas-côté, cet enfant à la peau d’ébène lève la main, plonge son regard dans le mien, me transperce de son sourire. Plus rien ne sera jamais comme avant et ma vie a changé à ce moment précis. 

L’Ethiopie c’est deux fois la France en superficie, 80 ethnies et quelques 200 dialectes, un calendrier propre basé sur l’ancien calendrier alexandrin, le pays d’origine du café et de la Reine de Saba, l’un des premiers pays chrétiens au monde évangélisé par saint Frumence de Tyr et qui encore aujourd’hui compte une très large majorité d’Ethiopiens orthodoxes, environ 60%.  

L’Ethiopie c’est aussi des paysages grandioses faits de déserts et de montagnes, de cascades et de volcans, des animaux hors du commun comme les zébus, les marabouts, les babouins gelada mais c’est surtout une fête religieuse inoubliable, Timkat, commémorant le baptême du Christ par saint Jean-Baptiste dans le Jourdain.   

Pendant trois jours, Gondar, une ville située au nord-est du lac Tana, devient l’épicentre de l’Ethiopie et de la diaspora éthiopienne. Dès le 18 janvier, des millions d’Ethiopiens se retrouvent dans l’ancienne capitale impériale pour prier, chanter, danser, pour simplement communier entre chrétiens partageant une même Foi. La nuit, faiblement éclairés par la flamme vacillante de leurs bougies et le jour, sous une chaleur écrasante et pesante, ces chrétiens d’Orient célèbrent le Christ. 

Le premier jour des festivités, les tabots, des coffres en bois symbolisant l’Arche d’alliance sont sortis des églises de Gondar, enveloppés de tissu et de soie. Au cours d’une cérémonie grandiose, le prêtre le plus ancien de chaque église, protégé par des ombrelles colorées, conduit la procession jusqu’aux bains de Fasiladas en portant les tabots sur la tête, précédé par les jeunes garçons et filles de l’école du dimanche martelant des tambours en peau de vache portés en bandoulière, interprétant des chants spirituels appelés shebsheba. 

Le soir du 18 janvier, les fidèles passent la nuit à prier et à chanter dans l’enceinte des bains de Fasiladas. La messe commence aux petites heures du matin du 19 janvier. Les Ethiopiens et touristes avertis portent des vêtements blancs et se couvrent la tête de foulards. Après la bénédiction de l’eau et au son des trompettes, dans une cohue indescriptible, les séminaristes puis les fidèles plongent dans l’eau gelée, renouvelant les vœux qu’ils ont prononcés lors du baptême

Le pourtour du bassin se mue en piscine olympique. Chacun hurle à pleins poumons, embrasse son voisin, rit haut et fort, lève les bras au ciel. S’il n’y avait cette formidable allégresse et l’évidence d’un exaltant moment de communion collective, on pourrait croire à un immense mouvement de panique. 

Dans l’après-midi du 19 et le dernier jour de Timkat, le 20 janvier, les tabots, qui avaient été portés à l’eau, sont ramenés aux églises lors d’une procession spectaculaire.  

L’Ethiopie c’est un pays qui vient de signer un traité de paix avec le Tigré après une guerre qui aurait fait entre 400,000 et 800 000 morts ces deux dernières années, une ruche en perpétuelle agitation surtout en pleine nuit, le lieu où serait conservée l’Arche d’alliance que l’on dit perdue, des édifices historiques creusés dans la roche, un code de la route très aléatoire et une chaussée partagée par les animaux, les Hommes et les véhicules de façon tellement anarchique que l’on se demande comment il y a si peu d’accidents ou de morts.   

L’Ethiopie c’est aussi une population parfois méfiante, intriguée par le blanc et qui vous fixe de longues très longues minutes sans aucune autre raison que parce que votre peau est blanche, qui vous prend sans cesse en photo et 90% du temps pas franchement très discrètement, qui vous hèle de très loin par tout un tas de sobriquets fantaisistes, « hé toi là-bas », « le blanc », « le français ». Mais cette même population c’est aussi la chaleur incarnée, la bienveillance et l’attention.  

Pour sa chaleur au sens propre et figuré, ses paysages, ses traditions, ses visages avenants, l’Ethiopie restera pour toujours et à l’instar de l’Egypte, avec lequel il est actuellement en conflit latent, mon pays de cœur et je vous souhaite un jour, de vous y rendre pour y rencontrer ces chrétiens d’Orient qui sortent tout juste de deux ans de guerre dont personne n’a daigné parler.