Dans le gouvernorat d’Assiout, en cette solennité de l’Assomption, les volontaires réalisent des donations de produits électroménager et de literie aux familles démunies de Baqur et de viande fraîche aux familles de Deir Rifa, avant de participer aux festivités organisées pour fêter la Vierge Marie.
Je repars ensuite vers Deir Rifa, un autre village où je dois passer la nuit. Là-bas, l’accueil est chaleureux. Une des dames du village a préparé pour nous un déjeuner simple mais délicieux : du riz aux vermicelles, des tomates fraîches et du poulet grillé. Chaque bouchée est une immersion dans les saveurs locales, un moment de répit bienvenu après cette journée éprouvante.
Le lendemain, le village est en effervescence. Une vache va être sacrifiée pour nourrir les familles de Deir Rifa. Les garçons l’immobilisent, leurs mains fermes malgré la bête qui se débat. Le boucher sort alors son couteau, un outil usé par les années, et d’un geste sûr, il saigne la vache. Le sang s’écoule, formant une mare rougeâtre sur la terre poussiéreuse. Un silence respectueux s’impose tandis qu’on suspend la carcasse pour la découper. Chaque morceau est pesé avec soin, distribué équitablement dans des sacs qui vont bientôt rejoindre les foyers du village.
Je charge les tricycles avec les volontaires, et nous commençons notre distribution à travers les ruelles. Je croise des enfants et des adolescents, leurs visages illuminés par l’excitation de notre passage. Ils me montrent fièrement leurs chiens, leurs poussins, les poules qu’ils ont achetées avec quelques sous. Les sourires fusent, les demandes de photos aussi. Ce moment est simple, beau, rempli de la joie spontanée de l’enfance.
Mais le second tour de distribution a un goût plus amer. Les familles que je rencontre sont bien plus pauvres. Les enfants, dénudés de presque tout, se tiennent timidement près de leurs parents. Ces derniers me regardent avec des sourires édentés, leurs regards à la fois joyeux et empreints d’une tristesse indélébile. Cette lueur mélancolique, ancrée au plus profond d’eux, ne disparaîtra jamais.
Pourtant, tous accueillent avec gratitude les morceaux de viande que je leur apporte. Une lueur d’espoir brille dans leurs yeux, l’écho d’un bonheur fugace.
Au retour au point de départ, toute trace de la préparation des sacs a disparu. Le sang qui a maculé la terre a séché, la table de découpe a été lavée. Les enfants jouent à côté, leurs rires cristallins remplissant l’air d’une légèreté retrouvée. Un troupeau de moutons passe, guidé par deux petits bergers à la démarche chaloupée, mais au regard clair.
Je termine ma journée chez le maire du village, goûtant aux plats typiques de la région, partageant un dernier moment de convivialité avant de repartir.
Enfin, j’arrive devant l’église, un édifice modeste mais empreint de mystère, creusé directement dans la roche. À l’intérieur, l’air est chaud, saturé d’humidité. Le sol glisse et les murs ruissellent. Les femmes s’éventent et les enfants somnolent sur les bancs. Le murmure de la foule s’amplifie alors que je découvre la grotte où, selon la tradition, la Sainte Famille s’est réfugiée durant la fuite en Égypte. Le lieu est chargé d’une aura particulière, un sanctuaire de pierre qui semble hors du temps. Le moment est solennel, une pause spirituelle au milieu de l’agitation, mais la foule, animée par une ferveur palpable, me pousse à continuer mon chemin.
Un des responsables remarque mon intérêt et, avec une autorité respectée, donne l’ordre à la foule de se décaler. Il me permet de m’approcher de la grotte pour prendre une photo. Une gêne m’envahit devant ce traitement de faveur. Je suis conscient du privilège que l’on m’accorde ici, dans ce lieu sacré. Malgré cela, je m’avance rapidement, la conscience aiguisée par le poids de l’instant, et je m’empresse de capturer quelques clichés, espérant que ces images pourront restituer l’intensité du lieu.
Une fois les photos prises, je rejoins le groupe, m’efforçant de me fondre à nouveau dans la masse. L’attente commence alors, une pause avant la suite des événements, marquée par la tension douce-amère d’un moment hors du commun.
Une procession commence dans une atmosphère chargée de ferveur. En tête, l’évêque avance lentement, entouré par des servants robustes qui veillent à le protéger des mouvements incessants de la foule. Chaque fidèle semble animé par un seul désir : effleurer sa tunique, comme pour capter un fragment de bénédiction dans ce moment sacré. Les mains se tendent, les corps se pressent, et une marée humaine se déplace en harmonie chaotique autour de lui.
De mon côté, je suis à distance, entouré moi aussi par des servants qui m’aident à avancer malgré la densité de la foule. Les chants en arabe s’élèvent, remplissant l’air de mélodies envoûtantes qui résonnent avec une intensité particulière en ce lieu sacré. Les voix s’unissent, créant une vague sonore qui emporte tout sur son passage, nous immergeant pleinement dans l’instant.
Le temps passe, et l’heure de partir approche. À regret, je m’extraie de la procession, laissant derrière moi cette scène vibrante de dévotion. Je rejoins le bus, conscient que ce moment marque la fin de mon séjour en Haute-Égypte.
Alors que le bus démarre, je tourne une dernière fois mon regard vers le village qui s’éloigne, emportant avec moi les souvenirs de ces jours intenses. Le retour au Caire s’annonce, où je reprendrai les activités auprès des enfants. Mais une partie de moi reste ancrée ici, parmi ces visages, ces chants, et cette foi profonde qui a marqué mon passage en Haute-Égypte. »