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Alexandre Goodarzy : « On peut penser que notre libération a fait partie d’une forme d’échange, mais lequel ? »

Boulevard Voltaire

Alexandre Goodarzy, comme deux autres Français et un Irakien membres de l’association SOS Chrétiens d’Orient, ont été pris en otage en Irak, en 2020, séquestrés et libérés après 66 jours.

Pour quelle raison ? Quelles ont été les conditions de cette détention et de leur libération ? Celui qui, depuis, a écrit et publié Guerrier de la paix, ouvrage pour témoigner de son engagement en faveur des chrétiens se livre à la caméra de Boulevard Voltaire.

Irak
Type d'intervention

Vous avez fait partie des quatre otages de SOS Chrétiens d’Orient en Irak. Vous étiez trois Français et un ressortissant Irakien. On imagine que ce que vous avez vécu a été le point de départ de l’écriture de ce livre.

Nous avons été séquestrés durant 66 jours en Irak après avoir été enlevés au cœur de la capitale.
Durant ce long moment de captivité, nous n’avions aucun contrôle sur le présent et aucune capacité de projection sur un avenir de plus en plus incertain. C’est en fait au passé que je décide de m’accrocher. Je décide de vivre dans ma tête, une manière de survivre et d’ignorer cette réalité qui nous torture. Je m’accroche à mes cinq années passées en Syrie à savoir de 2015 à 2020 où j’ai exercé la fonction de chef de mission dans l’ONG humanitaire SOS Chrétiens d’Orient. Nous avons mené des projets durables afin d’aider les chrétiens à ne pas disparaître du pays et leur permettre de vivre sur la terre de leurs ancêtres. J’emmène le lecteur en Syrie après cette prise d’otage, dans un contexte où nous nous retrouvons cadenassés entre Jabat Al Nostra qui subsiste à l’Est du pays et une nouvelle menace qui pointe depuis l’Est de la Syrie, à savoir l’organisation dite État islamique.

En préambule de l’interview, vous avez précisé que ce livre ne parlait pas seulement de cette prise d’otage.

J’avais vraiment à cœur de partager les 66 jours de détention. Mais verser uniquement dans l’aspect émotionnel n’était pas forcément pertinent. J’avais surtout envie de témoigner de mon engagement, ce qui m’a poussé à partir et d’effectuer ce qu’un humanitaire se doit de faire, c’est-à-dire un plaidoyer, rendre compte de la situation sur place afin de permettre à tous ceux qui nous soutiennent de connaître les réels tenants et aboutissants du conflit syrien. C’était le moment de rendre compte de la situation et d’expliquer le calvaire que vivent les chrétiens en Syrie et les Syriens de manière générale.

SOS Chrétiens d’Orient est une association très polémique. On vous accuse d’être des lobbyistes de Bashar al-Assad en Syrie. Entendez-vous cette accusation ?

On entend toujours cette accusation. On nous accuse de tout et son contraire à la fois. On ne peut pas à la fois nous accuser d’être des lobbyistes de Bashar al-Assad et à la fois de nous accuser d’être des croisés. Si on comprend ce à quoi cela fait référence et à la division que l’on nous reproche à savoir instrumentaliser la souffrance chrétienne d’Orient pour la diviser et semer plus de division qu’il y en a déjà entre chrétiens et musulmans, ce n’est absolument pas compatible avec la politique de Bashar al-Assad puisqu’il vise évidemment à l’unité et c’est ce qu’il veut absolument défendre. C’est la définition même du nationalisme arabe. On ne peut donc pas nous reprocher à la fois d’être des croisés diviseurs fauteurs de trouble et à la fois de travailler pour le gouvernement syrien. Cela n’a pas de sens et c’est tout à fait antinomique.

Pour remettre les choses dans leur contexte, vous étiez en déplacement ce fameux jour pour refaire des visas à l’ambassade. Vous avez été enlevés sur la route. Savez-vous qui vous a enlevé et pourquoi ?

Le pourquoi, on ne le saura jamais vraiment. Ce qui est sûr c’est que nous étions dans une espèce de chaos dans le chaos. Cela fait 40 ans qu’il y a la guerre en Irak et 20 ans qu’il y a un conflit de nature civile dû aux différentes interventions et aux raisons que l’on connaît, la destruction d’une nation. Depuis le 9 octobre 2019 précisément, les Américains avaient déclaré après leur victoire sur le dernier bastion de résistance de Daesh au sud de la Syrie. Ce même 9 octobre, ils retirent leur troupe du Nord Est syrien et très rapidement des manifestations de violente ampleur émergent à Beyrouth au Liban et à Bagdad en Irak jusqu’à ce que le seuil de violence soit dépassé jusqu’à tuer le numéro deux iranien. Cet homme-là a été assassiné avec son lieutenant irakien. Nous sommes arrivés 17 jours après cela. Toutes ces milices qui avaient un interlocuteur et un fédérateur se retrouvent sans maître. Il n’y a plus de patron et toutes ces milices se recomposent sur des logiques de quartiers. Ils ont envie de mettre la main sur tous les Occidentaux qu’ils peuvent pour venger l’assassinat du patron.
Ce sont des milices de Hachd al-Chaabi qui signifie la mobilisation populaire. Dans ces milices, il y a énormément de brigades.

Deux mois et demi de torture psychologique et peut-être physique ?

De torture physique si ce n’est, la manière dont nos sens ont été éprouvés. Nous avons eu faim. Nous avons été amaigri physiquement, mais pas seulement par manque de nourriture, mais parce que nous étions angoissés. Il y a eu tous ces tirs autour de nous et la façon dont ils jouaient avec nos nerfs. Si la question est : nous ont-ils battus ? La réponse est non.

Le fait de vous êtes raccrochés au passé était-ce une espèce de vengeance de dire «  j’ai failli disparaître sur ce coup et je veux laisser une marque pour dire qui je suis et ce que j’ai fait ».

Oui, bien sûr. J’ai toujours eu envie d’écrire. M’en serais-je vraiment donné les moyens ou aurais-je pu m’en donner les moyens ? Je ne sais pas. Cela s’est fait pendant notre convalescence. J’ai donc pu mettre à profit ce temps-là pour écrire. C’est aussi une manière de tourner la page et d’écrire une sorte de testament. Si je devais partir, les écrits resteraient.
Cela a été l’angoisse à travers ces murs. J’ai une femme et un petit bébé et je n’ai pas véritablement pris de disposition pour assurer nos arrières en cas de décès. Le train de vie que l’on mène est dangereux. Je n’avais pas eu les moyens de préparer un après. C’est aujourd’hui une manière de le faire.

Votre femme et votre enfant vous ont-ils permis de tenir ? Vos autres camarades, avaient-ils les mêmes armes pour résister psychologiquement à cela ?

On pensait tous à nos familles. Antoine a une femme et trois filles. J’ai une femme et un petit garçon. Notre ami irakien a deux garçons et une fille. On s’est évidemment tous accrochés à nos femmes et nos enfants. Julien n’est pas marié et n’a pas d’enfants, il se raccrochait donc à ses parents. On se raccrochait aux gens que l’on aimait. Même si nous étions mariés et que nous avions des enfants, cela ne nous empêchait pas de penser à nos parents, à nos frères et sœurs et à nos amis. Évidemment, la foi était au cœur de notre quotidien. C’était un ascenseur émotionnel quotidien. On pouvait rire à 14h et avoir le moral dans les chaussettes à 14h05. On éprouvait un grand réconfort de prier ensemble, de faire des chapelets, des rosaires et de confier nos intentions de prière ensemble. Très clairement, si nous n’avions pas cru en Dieu, nous n’aurions pas cette certitude que tout est entre ses mains. Je pense que l’on serait devenus plus dingues.

Comment s’est passée votre libération ?

Durant ces 66 jours, nous avons été bringuebalés à quatre reprises. A chaque fois que l’on nous a emmenés d’un lieu à un autre, c’était au beau milieu de la nuit et on nous racontait que nous étions libres. On nous conditionnait quelques jours avant en nous disant que notre liberté approchait. Quand le moment venu arrivait, on pensait vraiment que nous étions libres. On nous a menti plusieurs fois. C’était donc dur. Nous nous sommes donc refusés d’y croire et nous nous sommes mis dans la tête que finalement nous serions là pour un an. Il fallait l’accepter. C’était évidemment très éprouvant. Deux trois jours après, celui qui avait autorité sur ceux qui nous séquestraient est venu et nous a dit que dans une semaine nous serions aux côtés de nos familles. On se refusait évidemment cette joie afin de ne pas souffrir davantage. Il a commencé à nous dire «  vous devez savoir qu’un virus fait des millions de victimes dans le monde, les aéroports internationaux sont fermés, les capitales européennes dans le monde entier sont fermées, le monde est à l’agonie ». On n’y croyait pas vraiment. Ils avaient mis des choses dans cette cellule qui nous permettaient de croire que nous étions là pour du long terme. Il y avait donc une télévision avec une chaîne pour passer un peu le temps notamment une télévision. Nous avions accès à une seule chaîne, car ils gardaient la télécommande. Un jour, ils ont mis la BBC. Nous avions vu les rues de Berlin, de Rome, de Paris et des États-Unis vides. Nous avons vu des gens avec des masques et dans les hôpitaux. Il était écrit en dessous des images, le nombre de personnes touchées par le virus et le nombre de personnes qui en étaient décédées. On s’est dit que cela ne pouvait pas s’inventer.
Nous avons réalisé qu’effectivement depuis quelques semaines déjà, nous n’entendions plus les bruits des véhicules, alors qu’habituellement nous les entendions. 


Ils nous demandaient de passer du détergent dans nos cellules, alors que tout était propre. Un jour, je m’étais ouvert la main sur le bord de mon lit. A la caméra, ils ont vu que je saignais et ils sont venus tout de suite me désinfecter. Ils nous demandaient de nous laver avec un espèce de détergent. On ne comprenait pas ce qu’il se passait. On ne se posait même pas la question, mais on sentait que c’était bizarre. Ils étaient à cheval sur ce genre de choses.
Après, nous avons recollé les morceaux et nous avons compris que cela faisait plusieurs semaines que le virus sévissait et qu’il fallait faire attention de ne pas mourir. C’est certainement la raison pour laquelle, nous avons été dégagés. Il ne fallait pas que l’on décède de ce virus sinon on ne valait plus un sou.

En savez-vous davantage sur les conditions de votre libération ?

L’État français est intervenu puisqu’il n’abandonne jamais ses ressortissants. Le type qui nous a gardés nous a dit au moment de notre libération que si on nous raconte que nous avons été libérés en échange d’une somme d’argent, ce n’est que mensonge. Peu importe. Ce que l’on sait c’est que 200 soldats français étaient déployés en Irak pour l’opération Chammal dont le retrait était déjà en cours, mais dont notre libération a accéléré le retour au pays. On peut penser que cela a fait partie d’une forme d’échange. Est-ce des échanges en termes de stratégie ? On n’en sait rien…

Vous en êtes sorti et vous vous êtes reposé. Allez-vous garder des séquelles ? Comment envisagez-vous l’avenir ? Avez-vous envie de revenir en Irak ?

Je vais éviter l’Irak pendant quelque temps. On me déconseille fortement la Syrie. J’ai ma belle famille en Syrie et c’est un pays que j’affectionne énormément. Je ne compte pas mettre une croix sur ce pays. Je continue à travailler avec l’association et si celle-ci m’empêche, dans le cadre de mon travail pour des raisons de sécurité, de mettre les pieds ici ou là, je ferai ce que l’on me demandera de faire. L’association elle-même écoutera ce qu’on lui dira de faire. Pour aider les chrétiens d’Orient, il y a un principe de charité ordonnée que l’on respecte. Ce qui les touche a forcément un impact chez nous. La présence des chrétiens sur place est indispensable pour le bien commun. Plus vous aidez les chrétiens à rester, plus vous freinez la migration de masse. Ce que nous faisons pour les chrétiens là-bas, on le fait pour les nôtres ici.
Cela n’amuse pas les Syriens d’avoir à prendre un bateau pour quitter leur pays. Si leur pays était stable, ils resteraient dans leur pays. Le chaos disséminé ici et là pousse les gens à venir en masse en Europe. On est bien chez soi. Je connais bien les gens d’origine immigrée et je sais que c’est une déchirure pour eux que d’avoir à quitter leur pays. J’ai envie de les aider à rester chez eux et d’aider les Français à être tranquilles chez eux et à se reconnaître dans leur pays sans avoir sans arrêt leur culture défigurée par une espèce de nivellement par le bas institutionnelle à tous les niveaux. C’est une espèce de combat pour l’identité. J’aimerais continuer à mener ce combat dans mon pays, peut-être plus depuis la Syrie ou peut-être plus directement pour les chrétiens d’Orient, mais peut-être tout simplement pour les chrétiens en France et pour les Français.

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe