En novembre 2020, le gouvernement central d’Addis-Abeba faisait face à la coalition des forces tigréennes. Les conséquences sur la population éthiopienne ont été désastreuses. Le bilan est estimé à environ 600.000 morts incluant des pertes civiles comme militaires. Deux ans plus tard, la fin des hostilités a signé la reprise des festivités. Alexandre Goodarzy*, directeur des opérations adjoint de SOS Chrétiens d’Orient, a assisté à l’une des plus grandes cérémonies religieuses du pays : Timkat. Il nous dresse un état des lieux de la situation sur place.
« Alleluia ! » C’est un cri. Un coup d’envoi. Un jeune séminariste vient de plonger dans l’eau glacé, suivi par des dizaines de fidèles. Ils éclatent de rire et commencent à chanter. Tous se pressent autour des thermes de Fasiladas, bénis à l’instant par le prêtre. Tous veulent se jeter à l’eau. C’est l’apothéose : le renouvellement des vœux du baptême des fidèles. Les Ethiopiens revivent à nouveau l’un des moments les plus attendus de l’année : Timkat !
J’ai eu la chance de pouvoir y assister. Cette fête inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO commémore le baptême du Christ par Saint Jean-Baptiste dans le Jourdain. Des millions de chrétiens se réunissent à Gondar, dans le nord du pays. Durant trois jours, ils célèbrent leur foi lors d’une cérémonie hors du commun.
Cette terre est considérée comme sainte tant pour les chrétiens que pour les musulmans.
Son peuple descendrait de la lignée des prophètes, de l’union entre le roi Salomon et la Reine de Saba. L’Ethiopie devient chrétienne en 310, ce qui en fait le deuxième pays converti au christianisme après l’Arménie en 301. Envahi maintes fois par les Portugais, les Arabes et les Turcs, ce pays n’a cependant jamais été colonisé, contrairement à ses voisins africains.
Depuis l’Antiquité, l’Ethiopie est gouvernée tour à tour par les Tigréens et les Amharas. Le pouvoir leur échappe des mains, entre autres lors de l’instauration du Gouvernement provisoire de l’Ethiopie socialiste, premier régime non monarchique de l’histoire éthiopienne, puis de la République populaire démocratique d’Ethiopie. En 1991, les tigréens du Front de Libération du Peuple Tigréen renverseront la dictature et reprendront le pouvoir. En 2018, le Premier ministre oromo, Abiy Ahmed, met fin à ce régime ethnocentré. Les tigréens, qui représentent 5% de la population, sont accusés de faire des élections séparées du fait du refus de leur intégration politique.
Pays comprenant plus de 80 ethnies, les revendications territoriales sont virulentes vis-à-vis du pouvoir central d’Addis-Abeba. Sur place, on nous explique que le conflit démarre ainsi. Aujourd’hui chaque parti se rejette la faute quant au commencement des hostilités.
Le 4 novembre 2020, le gouvernement éthiopien déclenchait une offensive militaire à l’encontre du Front de Libération du Peuple du Tigré (TPLF). Le nord est devenu inaccessible en raison des massacres perpétrés par les deux camps qui s’affrontent au milieu des civils. Un an plus tard, alors que j’étais sur place pour assurer le suivi de nos projets, la situation se complique. Nous savons que les positions tigréennes descendent de plus en plus vers le sud. Des milliers de personnes fuient d’est en ouest pour quitter Kombolcha et Dessie devant la progression tigréenne et ainsi venir se réfugier à Bahir Dar, juste au sud du lac Tana. A ce moment, nous avions aidé en urgence plus de 10.000 déplacés en leur fournissant literie, médicaments et nourriture. Quelques jours après mon retour en France, en octobre 2021, les autorités éthiopiennes sommaient les habitants de la capitale de se préparer au pire et l’ambassade de France invitait ses ressortissants à quitter le pays au plus vite. En novembre 2022, un traité de paix signe la fin de la guerre, raison pour laquelle la fête de Timkat était particulièrement attendue cette année.
Le 18 janvier est le jour des préparatifs. Le prêtre le plus âgé conduit la cérémonie sous les regards de la foule recueillie. Les Tabots, copies de l’arche d’Alliance, sont portées par les prêtres sur leur tête en procession. Une tradition rapporte que Menelik Ier, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, aurait enlevé l’arche d’Alliance aux juifs à Jérusalem parce qu’ils ne suivaient plus les commandements de Dieu. Arrivant aux bains de Fasiladas, les fidèles passent la nuit à prier et louer le Seigneur. Le lendemain matin, les prêtres célèbrent la messe au petit jour. Après la bénédiction des eaux du bain, les séminaristes et les fidèles plongent dans l’eau gelée, renouvelant les vœux de leur baptême. Enfin, le 20 janvier, les prêtres rapportent les Tabots dans les églises de Gondor, lors d’une procession spectaculaire. « Rendons grâce au Seigneur pour ce temps de paix ! » me lance un jeune diacre.
Article écrit par Alexandre Goodarzy