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Chrétiens d’Orient, l’éternel retour

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Reportage. En Irak libéré, SOS Chrétiens d’Orient rebâtit les églises détruites par l’État islamique. Quand la foi, portée par de jeunes Français, triomphe de la haine. 

Ils sont cinq à suer sur un toit minuscule, pour retendre des câbles et redresser des poutrelles d’acier. Au bout de plusieurs heures de travail, ils peuvent enfin sourire : la grande croix de l’église Mar Jacob de Qaraqosh trône à nouveau sur son dôme ! En août 2014, les djihadistes avaient ravagé la plus grande ville chrétienne de la plaine de Ninive (50 000 habitants), dynamitant l’église et s’acharnant sur la croix qui dominait l’horizon.

Irak
Type d'intervention

Sur le parvis de l’église, Yunis, un religieux, sourit : « Il y a encore quelques mois, tout était couvert de débris, il y avait des milliers de douilles de balles sur le sol. Partout, on trouvait des inscriptions de Dae’ch sur les murs et les portes, pour menacer ou injurier les chrétiens. Sortis des chemins balisés par l’armée, on avait toujours peur de sauter sur une mine. Maintenant, ce n’est pas le jardin d’Éden, mais avec les graffitis effacés et les murs repeints, avouez que ça prend une tournure plus accueillante ! »

D’après une étude de l’Aide à l’Église en détresse (AED), il faut reconstruire plus de 12 000 maisons et 354 églises détruites, brûlées ou détériorées par les islamistes… Les infrastructures (puits, réseaux électriques, eau courante, etc.) sont à refaire. L’ensemble des opérations représente 200 millions d’euros.

Depuis la libération de la région, en septembre 2016, les chrétiens reviennent dans leurs foyers. Près de 3 000 familles ont retrouvé leur maison, soit 15 000 personnes. Mais des milliers d’autres attendent toujours dans les camps de déplacés du Kurdistan d’Irak.

La bonne nouvelle est que 41 % des chrétiens interrogés par l’AED veulent absolument revenir vivre dans leur village, et 46 % l’envisagent sérieusement. Ils n’étaient que 3,5 % avant la libération de Mossoul !

Tanneguy Roblin, chef de mission de SOS Chrétiens d’Orient (SOS-CO), est sur le terrain depuis plus de deux ans. Il a accompagné les chrétiens durant leur exode dans les camps du Kurdistan d’Irak, puis a suivi, en premières lignes, l’offensive pour la libération de la plaine de Ninive : « Cela fait partie des moments les plus forts de ma vie. Aujourd’hui, heureusement, les armes se sont tues et ont cédé la place aux pelles et aux pioches. »

Avec des associations comme l’AED ou EliseCare, de la Française Elise Boghossian, il participe activement au retour des chrétiens d’Irak dans leurs villages d’origine.

À Qaraqosh, la reconstruction avance rapidement. Le 2 mai, les autorités des différentes Églises, réunies au sein de la commission pour la reconstruction de Ninive, ont inauguré le lancement des travaux. Aux côtés de Mgr Petros Mouche, archevêque syriaque catholique de Mossoul, Benjamin Blanchard, directeur général de SOS-CO, a eu l’honneur de poser la première pierre : « Nous avons été les premiers à financer la reconstruction. La cérémonie a eu lieu dans la rue que nous rebâtissions. Dans un premier temps, nous nous sommes engagés à reconstruire 50 maisons pour une valeur de 300 000 euros. »

Ce premier quartier est désormais achevé. Tanneguy travaille maintenant sur un nouveau secteur de 26 demeures. L’association est à pied d’oeuvre dans les communes de Karemless, Al-Qosh ou Teleskuff : « L’objectif est de faciliter l’ancrage des populations. Nous lançons un programme de prêts solidaires à hauteur de 80 000 euros pour favoriser la relance économique en finançant de petites créations d’entreprises. »

Yossif, 30 ans, a les cheveux poudrés de blanc à force de manipuler des sacs de farine dans son local flambant neuf : « Après trois ans dans les camps, je peux enfin rouvrir une boulangerie ! Dans un mois ou deux, ma femme et mes enfants me rejoindront. Et ensuite, nos parents ! »

La santé est prioritaire pour les candidats au retour. Là encore, les humanitaires occidentaux pallient un État irakien dépassé. Mouna, les yeux brillant au milieu d’un visage couvert de poussière, a retrouvé son logement. Elle y a aménagé une pièce viable avec quelques bassines pour se laver, un réchaud et une table de camping en guise de cuisine. Au fond, un matelas posé au sol fait office de chambre à coucher. Chaque jour, elle enlève des gravats des pièces attenantes, avec l’aide de son mari et de ses frères. Elle n’a pas pu faire venir son père : « Il a du diabète. Ici, il ne pourrait avoir les traitements appropriés, il est mieux au camp d’Erbil. »

À Teleskuff , nous découvrons une grande maison de pierre sur trois étages. « Un chrétien exilé en Australie nous l’a offerte, explique Elise Boghossian. Nous l’avons transformée en dispensaire. » Au rez-de-chaussée, on trouve une salle d’attente et une infirmerie. La cuisine est devenue pharmacie. Aux étages, Elise a installé un cabinet dentaire, un laboratoire, un échographe et un atelier de psychologues où sont soignés des enfants yézidis victimes de Dae’ch, « d’anciens enfants soldats ou des esclaves sexuelles ». Elise nous désigne Sophia, 9 ans, occupée à dessiner à une table : « Les islamistes ont tué son père et violé sa mère sous ses yeux. Puis ils l’ont vendue comme esclave sur un marché. » Les enfants rescapés produisent des dessins de démons ou de djihadistes tenant des têtes coupées à la main… Un ange vient parfois atténuer ces visions d’horreur.

Si la guerre est terminée, la sécurité n’est pas totalement acquise pour les chrétiens d’Orient. Récemment, ils se sont trouvés pris entre le marteau et l’enclume dans le conflit opposant les séparatistes kurdes et le gouvernement irakien. Fin octobre, l’armée irakienne a investi les villages de Baqofa et Teleskuff . Zaher, un habitant, raconte : « Il y avait des tirs de partout. Plusieurs obus sont tombés sur nous. Les chrétiens ont recommencé à fuir. On a l’impression que ça n’arrêtera jamais. » Le père Salar, curé de la paroisse de Teleskuff , s’accroche : « Si la guerre revient, je ne sais pas si les familles resteront. Mais Noël approche : nous avons mille projets et l’espoir chevillé au corps ! »

Article écrit par Pierre-Alexandre Bouclay et André Cubzac

 

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe