Le docteur Adel Ghali est un médecin égyptien copte. Depuis quarante ans, il se dévoue auprès des chiffonniers du Caire, ces jeunes enfants qui vivent dans les bidonvilles de la mégalopole, sans ressources. Sa rencontre avec
sœur Emmanuelle a changé sa vie, et avec elle, puis après elle, il a décidé de continuer son combat pour les plus pauvres. Des associations comme SOS
Chrétiens d’Orient travaillent au quotidien avec lui dans les bidonvilles du Caire. Il est de passage en France début octobre : le 8 octobre à 19h, il
présentera son témoignage à La Valette-du-Var avec l’appui de son livre de souvenirs « L’appel du royaume ».
Adel Ghali : Quand on est chrétien, on doit aimer tout le monde ; même ceux qui nous persécutent. On y est obligé par l’amour du Christ, qui est venu pour nous sauver et qui s’est fait crucifier pour nous racheter. Nous devons pardonner, à l’image du Christ sur la croix, qui a dit : « Mon Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Le Seigneur seul peut nous donner la force du pardon.
Nous, nous vivons au quotidien avec les musulmans en Egypte. La grande
majorité des Egyptiens sont musulmans. Chrétiens, nous sommes considérés
comme une minorité : sur 100 millions d’habitants, nous sommes entre 15 et
20 millions. Les relations sont normales entre nous, nous sommes voisins,
amis. On espère vivre ensemble en paix et faire notre devoir, comme
Egyptiens.
La foi des chrétiens là-bas est admirable. Par exemple, il y a quelques années, une dame avait perdu sa fille lors d’une attaque devant une église, lors d’unmariage. Interviewée à la télévision, elle a dit qu’elle était en paix, certaine que sa fille était dans les mains du Seigneur. Le journaliste n’en croyait pas ses oreilles. Les chrétiens n’ont pas peur. Même après les attentats des fanatiques, ainsi à Noël 2011 (qui est le 7 janvier chez les coptes), les églises étaient remplies. De la même façon, nous rendons grâce au Seigneur pour le témoignage des martyrs coptes de Libye [21 coptes orthodoxes égorgés le 15 février 2015 par Daech] : ils n’ont pas renié leur foi, même menacés par le couteau. Des
martyrs dans notre siècle. Ils sont pour nous un exemple extraordinaire.
L.M : Qu’est-ce qui a changé pour les chiffonniers du Caire entre les années
1970 et aujourd’hui ?
A.G : Le Seigneur a envoyé un merveilleux cadeau aux chiffonniers du Caire :
sœur Emmanuelle. Elle a vécu plus de vingt ans chez eux. Quand elle a commencé le travail, ils étaient 14 000 dans son quartier ; maintenant, ils sont 70 000. Elle a travaillé dans trois quartiers. Elle a sauvé plus de 100 000
personnes de la misère. Des gens qui vivaient dans des cabanes en tôle ; parfois dix personnes dans 4 m2. Ils vivent parmi les poubelles, celles des autres qu’ils doivent trier. Aujourd’hui, des améliorations incroyables ont eu lieu : l’eau, l’électricité, les égouts… même des portables. Et des écoles : l’éducation a changé la vie de beaucoup, dans la jeune génération. Dans une école qui a commencé avec 200 élèves, il y en a maintenant 3 000. Certains
sont devenus ingénieurs, médecins. Beaucoup de professeurs sont aujourd’hui d’anciens chiffonniers. Pour moi c’était impensable. Grâce à sœur Emmanuelle et à la générosité, et aux prières aussi, c’est devenu réalité.
L.M : Pouvez-vous nous parler de l’amour de sœur Emmanuelle pour les
pauvres ?
A.G : Si elle n’avait pas aimé les pauvres, elle n’aurait pas pu faire tout ça. Elle était ferme, aussi. Sœur Emmanuelle était pleine d’amour. Je le sais et je l’ai vu et ressenti. Je ne peux pas l’exprimer autrement.
L.M : Qu’attendez-vous de l’Occident ?
A.G : Malgré l’amélioration de la vie des chiffonniers, il reste de nombreuses choses à faire. Depuis des années, nous rêvons d’ouvrir une nouvelle école. Il y a au moins 2 000 enfants à Ezbet-el-Nakhl [l’un des quartiers des chiffonniers], qui ne trouvent pas d’école. Nous attendons un permis de
construire. J’ai l’habitude de dire qu’il faut s’armer de patience et qu’il faut prier. Ce que la prière et la générosité peuvent faire est incroyable. Les chrétiens d’Occident peuvent nous aider en cela.
Propos recueillis par SOS Chrétiens d’Orient pour Jeanne RIVIERE