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Danger de mort pour la minorité alaouite en Syrie

Conflits

La chute de Bachar al-Assad ouvre une période d’incertitude pour la Syrie. De nombreux témoignages font état d’attaques et d’enlèvements contre les alaouites, soutiens de l’ancien régime.

Assad s’est enfui, le tyran est tombé. Al-Joulani est maintenant à la tête d’une Syrie libre. La foule est en liesse, les slogans pro-Assad font désormais les louanges des nouveaux maîtres de Damas. Les vainqueurs ? Des types en treillis avec des patchs de l’État islamique, coiffés d’un bandeau sombre sur lequel on peut lire la shahada (profession de foi des musulmans). Les discours se veulent rassurants, les minorités seront bien sûr respectées. Il arrive que certains journaux accusent de propagandistes pro-Assad ceux qui évoquent le contraire, la plupart du temps, le sujet est tout simplement ignoré. Pas une ligne sur les massacres en cours dans certaines régions et villes de la nouvelle Syrie.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Depuis 2011, tous les efforts de guerre sont menés pour faire tomber le tyran. Le mot d’ordre était « Tout sauf Assad ! » Les expériences irakienne, libyenne et avant cela iranienne ne nous auront décidément pas appris grand-chose.

Oppositions communautaires

Pourtant, les faits sont là, malgré les apparences. Dès les premières heures de la Révolution syrienne en 2011, les religieux sunnites braillaient depuis les mégaphones de leur mosquée lors de la prière du vendredi : « Les alaouites au tombeau et les chrétiens à Beirut ! » La semaine suivante ils demandaient d’élargir les tombeaux « pour y jeter aussi les chrétiens ! » Ces décrets religieux n’étaient pas sans fondements, ils venaient rappeler ce que trop de sunnites avaient oublié, mais que les wahhabites, les salafistes et les frères musulmans gardent toujours à l’esprit : la Fatwa d’Ibn Taymiyya (XIIIe siècle). Car si le chrétien avait le choix entre l’exil, le paiement de la jeziya (l’impôt sur les non musulmans) ou la conversion à l’islam, l’hérétique alaouite, lui n’avait que deux options, la conversion ou la mort : « Ils sont de plus grands mécréants que les Juifs et les chrétiens. […]et leur mal envers la Communauté de Mohammad est plus grand que le mal des mécréants qui sont en guerre avec les musulmans ».  Ainsi excommuniés, les alaouites sont désignés comme la cible numéro un du monde musulman. Deux siècles avant Taymiyya, al-Ghazali, sorte de Thomas d’Aquin de l’islam, rajoutait que « c’est un devoir de les tuer ». Au XIXe siècle, une autre fatwa stipulait que les musulmans peuvent prendre les alaouites comme esclaves. Un proverbe sunnite syrien révèle d’ailleurs que : « un alaouite, c’est mieux d’en tuer un que de prier toute la journée ».

Alaouites : une minorité méprisée

C’est la raison pour laquelle, depuis les premières dominations sunnites qui leur imposèrent la charia, en effet, les alaouites durent s’isoler dans les régions rurales jusqu’à la fin de l’Empire ottoman en 1924 pour échapper aux razzias et djihads continuels, au racket des propriétaires sunnites, ou tout simplement à l’ostracisme social et religieux.

Mais leur mal ne s’arrête pas là pour autant. Dans les années 1930 et 1940, on estime qu’un enfant alaouite sur quatre est de père sunnite parce que leur mère était prise comme domestique chez des notables sunnites qui employaient des fillettes alaouites, souvent dès l’âge de huit ans, avant de s’en servir comme maîtresses. Jusqu’à la toute fin des années 1960, les alaouites étaient utilisés comme esclaves par des sunnites.

La prise de pouvoir par Hafez al-Assad en 1970 va certes engendrer une certaine revanche sociale, mais est-ce que les deux millions d’alaouites en ont profité ? Il suffit de se promener dans le gouvernorat de Lattaquie, dans ses innombrables villages côtiers ou montagneux pour comprendre combien ce fantasme est grotesque. Les alaouites sont des gens pauvres, vivant dans de modestes habitats faits de parpaings souvent sans isolation. Ils vivent majoritairement d’agriculture et de pêche. Non seulement ils sont une grande majorité à ne pas avoir joui des privilèges du précédent pouvoir, mais, en plus, il serait complètement absurde de minorer le nombre de sunnites qui ont participé au maintien de ce même pouvoir.

Arrestations et attaques

Aujourd’hui les alaouites payent le prix fort du retour en force des sunnites. Prétendument pour pacifier le pays, des groupes armés et cagoulés procèdent actuellement au désarmement des civils dans tout le pays, mais, curieusement, les sunnites ne sont jamais concernés. Des hameaux peuplés d’alaouites sont désormais fantômes, car les visites sont régulièrement accompagnées d’exécutions où le religieux du groupe désigne qui doit mourir. Hayat Tahrir al Sham arrive chaque fois trop tard en exprimant aux familles défuntes leur regret de ne pas avoir pu intervenir à temps. On se réfugie alors dans les villes les plus proches, comme à Homs ou à Hama, mais, là encore, on tabasse, on humilie les alaouites. Comme « ce sont des chiens » on leur ordonne de se mettre à quatre pattes et d’aboyer. Toujours à Homs, une femme alaouite a été retrouvée les doigts coupés, le corps sans vie, pour avoir protesté contre le port du niqab dans l’université de la ville où elle enseignait depuis plusieurs années. À Damas, à l’hôpital 601, les médecins alaouites ont été renvoyés chez eux pour être remplacés par des sunnites. Au ministère des Finances, les chrétiens sont sommés d’enseigner tout ce qu’ils savent à leurs futurs remplaçants venus d’Idlib. Pourquoi ? « Parce que nous ne voulons plus de chrétiens ici » leur a-t-on répondu sèchement. Ce nouveau gouvernement est en train de remettre toutes les fonctions de l’État aux mains des sunnites et d’en chasser toutes les autres composantes de la société syrienne.

Il convient de rappeler que la haine d’une certaine frange sunnite sur les alaouites n’est pas liée à cinquante-quatre années de dictature. Elle est millénaire. Les Assad avaient apporté un demi-siècle de répit à leur communauté. Ils avaient inversé le rapport de force et permis à leur communauté de ne plus craindre pour leur vie. Mais cette époque est désormais révolue, ils vont à nouveau pouvoir être massacrés sans que cela n’émeuve personne. Les Syriens alaouites peuvent reprendre leur vie de martyr là où ils l’avaient laissée…

Par Alexandre Goodarzy

Syrie
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attachée de presse