Paul, albigeois étudiant à Paris, a vécu cet automne un stage inattendu en cette période de restrictions sanitaires : il a effectué une mission en Égypte avec l’association. Il évoque des « semaines rythmées, riches et très colorées » et encourage à se lancer dans une pareille aventure.
Écoutons-le narrer quelques moments de cette mission qu’il qualifie de « magnifique » :
« D’ordinaire, nous nous rendons le lundi à l’école de Miss Marlène situé dans le quartier populaire d’Ezbet El Nakhl. Parfaite oasis dans ce qu’il faut bien un appeler un cloaque, nous y passons une bonne partie de la matinée.
Nous y arrivons grâce à nos robustes tuk-tuk, seuls véhicules motorisés habilités à sillonner le dédale de rues cabossées que dessinent chaotiquement les habitations de fortune et les piles de déchets.
A chacune de nos visites, c’est le fameux passage des Béatitudes dans l’évangile de St Matthieu (chapitre cinq) que scandent à l’unisson, syllabe par syllabe, les élèves de l’école.
Dès que je ne suis plus occupé à faire répéter quelques chants de Noël dans la salle voisine, je prends le temps de redécouvrir le sens de l’apprentissage par cœur en observant Louis, infuser les paroles du Christ dans l’esprit de ces enfants de chiffonniers, identifiables à leur poignet tatoué d’une petite croix noire.
Quelques mètres plus haut, sur le toit de l’école aménagé en terrain de jeux, les plus jeunes jouent avec le demeurant des volontaires.
Nombre de nos matinées de la semaine sont dévolues à un chantier sur les toits du patriarcat de l’Église catholique arménienne. Un ami de la mission SOS, Monseigneur Krikor y résidant, nous a chargés de la restauration d’un mur.
Aux côtés du Docteur Adel, un autre grand ami de la mission, nous l’avons invité à déjeuner ce midi.
A table, l’évêque catholique arménien évoque le temps béni de son ordination à Alep et le docteur copte, ami de Sœur Emmanuelle, piège les nouveaux volontaires avec de subtils jeux de mots.
Nous savourons cet instant de fraternité œcuménique.
Accompagné de Julie, Alexandre et de notre traducteur Shady, je découvre cet après-midi le quartier de Matarya. La mission y visite depuis ses débuts une maison de retraite que tiennent quelques religieuses.
Le jour tombant – il est quatre heures et demi passé – dessine sur l’enceinte d’entrée métallique des ombres lugubres. Parvenus sur le palier où résident la dizaine de pensionnaires, nous sommes accueillis par les remontrances de Mona.
Celle-ci, alitée depuis le jour où les coups de son mari lui firent perdre sa jambe gauche, demande à Alexandre, avec un ton geignard qui dissimule mal la tristesse, les raisons de notre retard.
Informée de son départ ce jeudi pour la France, Mona a compris que cette visite de son ami volontaire était la dernière avant un bon moment. Ce dernier, prétextant le trafic chargé, glisse vite vers des sujets plus légers pour désamorcer l’émotion des adieux.
Mona nous parle d’elle.
Elle semble avoir gardé de ses années passées en Europe le goût des langues et du rock’n roll. Mona ne tarde pas à nous réclamer un téléphone pour se passer en boucle Diana. Disposant d’une quinzaine de minutes devant nous, nous rejoignons Shady et Julie qui ont entamé une partie de domino avec le reste des jeunes filles.
Les paroles sont rares, presque toujours incompréhensibles – y compris pour Shady.
Pourtant, le contact établi par le jeu et ce temps passé ensemble les rendrait presque inutiles. Un capricieux « Alexaaaandre, remets-moi le téléphone ! » fend soudain le silence, arrachant à nos visages goguenards un large sourire.
Ce soir, je passe pour la première fois le pas de la porte de l’église St Cyril, paroisse grecque catholique du Caire, pour une veillée d’adoration suivie de la messe. Située en plein cœur du quartier occidentalisé Heliopolis, j’apprécie d’emblée ce lieu et cette communauté ayant enrichi le culte catholique du faste, des couleurs et des mélodies orientales. Je repars de cette soirée de prière fasciné par l’accueil fraternel qui nous a été fait.
Ce matin, nous partons visiter les orphelines d’Abbasseya. L’appartement où nous sonnons, juste assez grand pour accueillir une vingtaine de filles âgées entre deux et douze ans, est un émouvant lieu de vie.
La maitresse des lieux est une vieille sœur égyptienne, Tassoni Maria, dont le regard dur et chaud me saisit alors que nous passons le pas de la porte.
Plusieurs femmes assistent les deux religieuses pour les tâches ménagères.
Concernant nos visites, un premier groupe de volontaires donne généralement un cours de français aux plus âgées.
Le second joue avec les plus jeunes ou leur apprend quelques rudiments de français.
Ce matin encore, je suis frappé par le niveau d’attention de ces jeunes filles.
On repart quelques temps après, recroisant le regard de Tassoni Maria et de ces femmes donnant leur vie pour ces gamines sans parents, en se disant que rien n’est jamais tout à fait perdu.
Il est 7h30. Nous rejoignons Ayman et Milla qui nous attendent dans sa voiture toute neuve. Nous partons ensemble au bidonville du 15 mai, situé à quelques kilomètres au sud du Caire.
Ayman qui œuvre au bidonville du 15 mai depuis des années, nous fait le récit des récents événements.
Depuis le début d’année 2020, s’y sont succédé les ravages d’un torrent de boue et ceux de l’épidémie de covid19, entraînant la fermeture de l’antenne et l’arrêt des activités avec les chiffonniers.
Plus révoltant encore, le chantier de construction de l’hôpital attenant à l’église du pape Chenouda III a connu le même sort. Le retard pris est un véritable désastre, nous explique Ayman. Car, aux conditions de vie indicibles, s’ajoute la situation d’enclavement total du bidonville du 15 mai.
Et le dénuement des habitants est tel qu’une famille a perdu récemment un enfant victime d’une mauvaise brûlure, faute de pouvoir le conduire aux urgences. Ici, les adolescents accompagnés de chiens errants passent leurs journées à fouiller les montagnes de déchets dans l’espoir d’en extraire quelques tiges métalliques.
Une fois traitées, celles-ci pourront éventuellement être revendues pour une somme dérisoire.
Les plus jeunes se rendent à la garderie située au dernier étage du bâtiment de l’hôpital en cours de construction.
A notre arrivée, ceux-ci nous montrent leur connaissance des parties du corps en anglais. Lorsqu’ils entonnent avec leur maîtresse la comptine « Head, shoulders, knees and toes… », je me revois au même âge, aussi innocent, et n’apprenant pas autrement les bases de la langue de Shakespeare.
Les pensées que font naître en moi l’observation de la brutalité absurde de la vie ici me sont insupportables.
Une partie de football sous le soleil brûlant de la cour avec Pierre-Marie et deux garçons m’en délivre.
Nous n’avons pour tout ballon qu’un petit tube de plastique rigide bleu, mais je ne saurai dire combien les rires de ces gamins me bouleversent lorsqu’ils réussissent un petit pont.
Joyaux cristallins, ineffables, que le mauvais génie des naissances n’a osé dérober. »
A lire ces quelques lignes, on perçoit combien ces deux mois ont offert à Paul plus qu’une bouffée d’oxygène en temps de pandémie : une découverte de « sens, de liberté, de paix intérieure » comme il le suggère dans un poème écrit sur ces rives du Nil :
« Dans le service, ces étrangers sont frères, au bled
Réunis par ce Dieu jamais absent. »