Le Liban et Israël sont des voisins qui s’embarrassent. Et ils le sont peut-être car ils sont sans cesse sommés de répondre à la même question : comment survivre? Chacun sait bien sa leçon politique : une nation vit quand son ordre intérieur lui assure de ne pas être une proie pour les puissances qui la jouxtent. Elle survit aussi si ces puissances ne lui veulent ou ne lui peuvent aucun mal.
Or Beyrouth et Tel Aviv répondent incessamment à ces deux questions avec des complexités finalement assez voisines. Comment être une nation alors que des tensions ethniques et religieuses traversent avec autant de virulence le corps social ? Comment obtenir la paix quand l’intérêt stratégique objectif de son voisin est de consacrer votre faiblesse ?
Nous ne pouvons pas méconnaître cette donnée de fond avant d’analyser l’escalade actuelle entre Israël et le Hezbollah et leurs conséquences sur la partie nord de l’État hébreu et le sud du pays du Cèdre.
Depuis le 7 octobre 2023, les États-Unis et certaines nations européennes s’emploient à éviter la propagation du conflit au reste du Moyen-Orient. C’est bien au Liban que le péril est le plus vif en raison de la nature si particulière du Hezbollah. Parti politique et milice, le parti de Dieu constitue un véritable État dans l’État au Liban. Le Hezbollah est une organisation aguerrie, très soutenue par l’Iran, mais qui possède aussi une base sociale extrêmement développée dans les communautés chiites. Il a par ailleurs des contacts diplomatiques à peine dissimulés avec de nombreux États occidentaux et des négociations politiques, voire parfois des alliances, avec certains partis chrétiens à Beyrouth.
Il justifie ses avantages exorbitants des autres partis libanais, entre autres la possession d’une organisation militaire et d’armes mais également des avantages fiscaux, car il affirme être la seule structure à même de défendre l’intégrité du pays face à des invasions étrangères. Toute la guerre d’information qui se mène en plus des opérations militaires actuelles est donc la suivante : les interventions israéliennes seront-elles perçues comme une opération contre le Hezbollah ou contre le Liban ?
L’opération de piégeage des bipeurs utilisés par le Hezbollah, le mardi 17 septembre, a pris des accents de film d’espionnage d’un point de vue occidental. Par essence, elle était aussi une opération qui ne pouvait pas être conduite sans faire de victimes civiles. Tsahal a argué de la raison d’État, les familles des victimes civiles ont vilipendé une opération jugée criminelle. Et les autres nations ont été bien en peine de ne pas rappeler l’évidence : depuis le Liban et depuis Israël, des opérations sont menées qui bafouent l’intégrité et la souveraineté des deux pays.
C’est sur ce fondement qu’il faut comprendre l’intervention d’Emmanuel Macron du jeudi 19 septembre dans un message spécialement adressé aux Libanais. Sans condamner l’opération israélienne, le président de la République a affirmé que « dans le chagrin, la France se tenait aux côtés du Liban » et a appelé à la recherche d’un « chemin diplomatique exigeant ». Dans son intervention, il a réaffirmé que le Hezbollah devait cesser ses opérations contre Israël pour permettre d’éviter la guerre.
Un propos avec lequel tout le monde s’accorde, mais à partir duquel rien n’avance depuis des années. Paradoxalement, le Hezbollah a besoin de la tension avec Israël pour proposer une justification nationale de ses avantages particuliers. Quant à l’État hébreu, il doit rassurer les populations de Galilée tout en naviguant entre les divers intérêts régionaux, si bien que la spirale de la violence est infinie : le Hezbollah exploite les attaques israéliennes présentée par le gouvernement israélien comme la seule option pour assurer la sécurité de son peuple. Déjà accablé, le peuple libanais dans son entier souffrirait abominablement d’une nouvelle guerre. Et il a déjà payé pour savoir que les épurations politiques organisées par l’étranger ne lui apportent pas la paix.
Nous dirions volontiers que le président libanais est plongé dans une situation politiquement comparable à celle d’Henri III. Sauf qu’il n’y a toujours pas de président libanais. Et l’on sait comment mourut le prédécesseur d’Henri-le-Grand.