Le Liban, depuis qu’Israël a décidé de frapper sans merci le Hezbollah, connaît une « catastrophe humanitaire sans précédent », alertent les associations caritatives sur place, SOS Chrétiens d’Orient, L’Œuvre d’Orient. et l’AED (Aide à l’Église en détresse). Les dernières déclarations du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, menaçant le pays de « destructions et souffrances comme celles que nous voyons à Gaza s’il ne se libère pas du Hezbollah » ne sont guère rassurantes. Le Liban doit faire face aux souffrances des un million deux cent mille déplacés (chiffres du Premier ministre libanais Najib Miqatiqui) qui fuient les villages de la frontière sud, théâtre des affrontements.
Des familles innocentes dans le Sud-Liban : 20 % de déplacés
« Les tensions entre Israël et le Hezbollah ont connu une recrudescence dramatique, entraînant une intensification des frappes israéliennes, notamment sur les zones résidentielles proches de la frontière […] qui plonge des familles innocentes dans une situation d’angoisse et de détresse », précise SOS Chrétiens d’Orient, qui évoque auprès de BV le chiffre de 2.000 morts et 10.000 blessés depuis le mois d’octobre 2023 (civils et militaires confondus).
L’Œuvre d’Orient, qui tenait une conférence de presse à Paris, ce mardi 8 octobre, précise que le nombre de déplacés avoisine les 20 % de la population, dans un pays qui compte 6 millions d’habitants, auxquels s’ajoutaient déjà, à la veille du déclenchement des hostilités, 2 millions de Syriens réfugiés. Avant ce nouveau conflit, le Liban était au bord du gouffre, touché de plein fouet depuis 2019 par une succession de malheurs : « la crise économique, les mouvements de contestation des élites politiques dans la rue, le blocage généralisé de tous les comptes bancaires des Libanais, l’effondrement de la livre libanaise et l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, le pays allait très mal », détaille Vincent Gelot, le représentant de L’Œuvre d’Orient à Beyrouth depuis 8 ans.
Depuis le 7 octobre, ce sont les villages proches de la frontière sud qui sont pris en étau.
« Personne ne parle des nombreux chrétiens qui ont choisi de rester »
SOS Chrétiens d’Orient relaie auprès de BV des témoignages sur le vif : à Debel, village entièrement peuplé de chrétiens touché par un bombardement israélien, le père Fadi Felfi déplore la disparition d’une famille entière ensevelie sous les bombes. Il raconte : « Après le bombardement, la peur a emporté bien des âmes. Les personnes âgées, les femmes et les enfants ont fui, ne laissant derrière eux que des cœurs lourds et des regards tournés vers un avenir incertain. Seules 100 familles sont restées, essentiellement composées de jeunes hommes ». Des villageois qui, depuis le début des hostilités et en l’absence de l’armée libanaise, s’organisent entre eux et veillent pour empêcher les incursions de milices armées, nous précise Vincent Gelot.
« Notre mission est de rester, de résister », témoigne le père Felfi. Malgré les conditions précaires et la situation périlleuse : « Le village manque d’essence et de mazout, mais, au-delà de ces besoins matériels, ce qui nous fait cruellement défaut, c’est la paix ». Ceux qui restent sont coupés du monde, les axes principaux régulièrement endommagés par les tirs de missiles, et ne peuvent aller travailler.
À Kawkaba, un village visé par trois missiles, le Dr Elie Nakhoul, président de la municipalité, rapporte : « 98 % des villageois sont encore chez eux, mais les agriculteurs ne vont plus à leurs vergers ». Ce qui pourrait s’avérer dramatique, car « la saison de récolte des olives approche, c’est fin octobre, et si la situation ne s’apaise pas, les habitants vont perdre leurs récoltes, indispensables pour leur survie tout au long de l’année, voire pour deux ans ! » Dans tout le Liban, à l’exception des institutions privées qui rouvrent peu à peu, les écoles sont fermées et les habitants « piochent dans leurs réserves pour se nourrir ; la situation est très difficile, mais nous essayons de perdurer notre résistance dans le village ».
Un esprit de résistance que l’on rencontre ailleurs, à l’instar de cette religieuse, Sœur Maya El Beaino, de la congrégation des Sœurs des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie, « qui a décidé de rester dans son couvent Saint-Joseph d’Ain Ebel, dans le sud du Liban, à seulement cinq kilomètres de la frontière israélienne, afin d’accompagner la communauté chrétienne (environ 9.000 personnes) » (témoignage recueilli par l’AED). Un intermédiaire précieux pour l’association qui, grâce à elle, parvient à acheminer aide médicale et colis alimentaires.
« Tout le monde parle des personnes qui ont fui à cause des attaques, mais personne ne parle des nombreux chrétiens qui ont choisi de rester, craignant de perdre leur maison et leur terre pour toujours », témoigne une autre religieuse sur place.
« Les institutions religieuses et tout le tissu associatif ont un rôle essentiel au Liban »
Au Liban, précise Vincent Gelot, ce pays qui vit « sans président et sans gouvernement depuis deux ans », le rôle tenu par « tout le tissu associatif, les institutions religieuses, est vital. Les écoles publiques et privées, les institutions religieuses, les monastères se sont ouverts pour offrir un refuge aux populations déplacées ». Un accueil qui, dans la grande majorité des cas, se passe bien, mis à part quelques expériences malheureuses rapportées à L’Œuvre d’Orient : « Certains établissements scolaires ont été forcés par des milices armées affiliées au Hezbollah ou au mouvement Amal pour rentrer dans ces écoles et y mettre des familles. Un certain nombre de gardiens et de religieuses ont été menacées d’enlèvement et de mort ».
Face à cette situation d’une exceptionnelle gravité – « dans les rues de Beyrouth, dans les rues de Saida, dans les montagnes du Liban, des milliers de déplacés, des femmes, des enfants, des vieillards, affluent du sud du pays, à la recherche d’un logement, ignorant s’ils pourront, un jour, rentrer chez eux, sans compter le nombre de déplacés non comptabilisés qui ont directement rejoint familles ou amis », détaille Vincent Gelot -, les associations s’activent. Distribution de matelas, d’oreillers, de couvertures, préparation de repas, aide aux devoirs des enfants privés d’école, en collaboration avec d’autres associations locales libanaises. SOS Chrétiens d’Orient projette « l’ouverture d’une clinique mobile » et multiple les aides matérielles et le soutien aux associations partenaires.
Des victimes qui intéressent peu l’opinion internationale
L’Œuvre d’Orient tente d’alerter l’opinion internationale, déplorant que « cette crise humanitaire sans précédent ne soit absolument pas traitée à hauteur de ce qu’elle devrait être […] les victimes civiles et le sort de la population libanaise ne sont pas assez visibles, les blessés et les tués sont désincarnés ». Vincent Gelot, habitué à d’autres crises (ukrainienne, arménienne, turque et syrienne), déplore : « On ne ressent pas l’élan de solidarité et de générosité qu’on avait pu ressentir dans le passé ». Il alerte sur la fragilité « de toutes ces institutions religieuses qui jouaient déjà un rôle auprès des populations avant la guerre » ; si elles n’ont plus les moyens de tenir dans le temps, « on ira vers des problèmes encore plus graves ».
Par la voix de son directeur Mgr Gollnisch, L’Œuvre d’Orient fait un appel à la générosité des ses donateurs et forme le vœu que l’aide internationale « n’aille pas au gouvernement mais aux associations libanaises présentes sur le terrain sous le contrôle international ».
Mais l’espoir demeure dans le cœur des associations qui luttent pied à pied pour protéger la population libanaise, à l’image de cette conclusion de Vincent Gelot lors de sa conférence de presse : « Nous voulons croire que cette tragédie pourrait être l’occasion d’une renaissance, d’un redressement du pays qui a beaucoup de ressources : de belles écoles, de belles universités, une diaspora qui n’est pas pauvre et dont la majorité des habitants aspire à la paix ».