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Thibaut Wallet est chef de mission au Liban pour SOS Chrétiens d’Orient depuis trois mois, après une mission d’un an en Éthiopie. Conscient de la gravité de la situation avant son arrivé,  déjà complexe, il a vu la crise s’aggraver après le 7 octobre 2023. L’intensification du conflit était prévisible en raison de la faiblesse de l’État libanais, régulièrement en crise. Israël, visant le Hezbollah, place ainsi le Liban en ligne de mire.

Quelle est la situation d’urgence actuelle au Liban, en particulier à Beyrouth ? 

La situation a pris un tournant dramatique le 17 septembre 2024 avec l’attaque des bipeurs, visant le Hezbollah et, provoquant de graves troubles à Beyrouth. La ville a rapidement plongé dans le chaos, marquée par des sirènes incessantes et une stupeur généralisée. La semaine suivante, les frappes se sont intensifiées. Le 23 septembre,  la journée la plus meurtrière jusqu’alors, on comptabilisait 558 morts et plusieurs milliers de blessés à travers  le Liban. Depuis, Beyrouth subit quotidiennement des bombardements israéliens  principalement dans la banlieue sud Dahieh. 

Récemment, une frappe israélienne a touché les quartiers de Basta et Ras el-Naaba, au centre de Beyrouth. Quelques jours auparavant, c’est un axe majeur reliant l’aéroport au reste de la ville qui a été endommagé. Les frappes ne se limitent pas à la capitale, elles atteignent aussi la vallée de la Bekaa, Tripoli et le Nord du Liban, ainsi que d’autres régions relativement épargnées jusqu’ici comme le Keserwan.

Quels sont les besoins des familles et les principaux défis auxquels vous faites face dans ces conditions ? 

La crise des déplacés devient le défi le plus préoccupant dans l’immédiat. Le Premier Ministre libanais Najib Miqati évoquait il y a quelques semaines le chiffre d’un million de personnes déplacées, mais les observateurs estiment que ce nombre atteindrait désormais 1,2 million, pour une population totale de six millions de Libanais. Parmi eux, seulement 180 000 sont officiellement recensés dans les 990 centres d’accueil, dont 790 sont d’ores-et-déjà pleins. Le reste des déplacés survit dans des conditions précaires : certains sont hébergés chez des proches, d’autres dans des hôtels ou des appartements, mais d’autres encore n’ont malheureusement pas d’autres choix que de dormir dans leurs voitures ou à même le sol des rues.

SOS Chrétiens d’Orient est comme à son habitude présente sur le terrain. Nous distribuons des matelas, des oreillers, des couvertures, des serviettes, des gazinières, des produits d’hygiène ou des colis alimentaires dans les centres d’accueil. Nous participons également à la confection de repas chauds pour les déplacés. Notre travail d’évaluation des besoins et nos relations avec les partenaires associatifs et institutionnels du pays, nous permettent de coordonner notre aide pour répondre à l’urgence de la situation le plus efficacement possible.

A ce titre, nous avons par exemple lancé un projet médical en partenariat avec le ministère des Affaires sociales, en déployant une clinique mobile dans la région de Jezzine. Celle-ci permettra à des milliers de déplacés et de résidents, répartis dans une vingtaine de villages du Sud-Liban, de bénéficier d’un accès aux soins, dans un contexte où l’absence de services opérationnels se couple malheureusement avec le développement des risques sanitaires liés à la situation.

Quelle est la situation de l’aide humanitaire sur le terrain ? 

Le Liban reçoit une aide humanitaire importante, mais malgré cela, elle reste insuffisante face à l’ampleur de la crise actuelle. Les ressources commencent à manquer et les fournisseurs nous alertent sur la raréfaction des matières premières à moyen terme. Nous sommes en première ligne pour distribuer des biens de première nécessité et nous avons plus que jamais besoin de dons pour y parvenir. La situation évolue rapidement, et les besoins des Libanais augmentent chaque jour.

Quel impact la crise a-t-elle sur la vie spirituelle des déplacés ? 

Cela dépend des régions où ils se trouvent, mais dans de nombreux cas, quitter son village et son église reste un véritable déchirement. Les églises du pays sont ouvertes, et beaucoup parviennent encore à assister à la messe. Cependant, certains paroissiens sont séparés de leurs prêtres, ce qui rend la situation spirituelle difficile. Beaucoup de déplacés se sentent perdus, désespérés, et épuisés par l’épreuve qu’ils traversent.

Vous avez également effectué une donation d’urgence pour les paroissiens Grecs Orthodoxes de la ville de Rachaya El-Fekhar. Dans ce contexte de conflit intense et d’exode massif, comment évaluez-vous l’impact des distributions de colis alimentaires sur la vie de ces familles ? 

La distribution de colis alimentaires est cruciale dans cette situation désastreuse. Pour beaucoup de familles, ces colis représentent non seulement une aide matérielle, mais aussi un lien avec leur communauté. Chaque paquet permet à une famille de se nourrir pendant deux semaines, un répit essentiel face à l’angoisse quotidienne. De plus, cette distribution a créé un espace de solidarité. Alors qu’ils ont dû quitter leur terre et prendre la route sans même parfois avoir le temps d’emmener le minimum, les villageois se retrouvent, échangent des nouvelles et renforcent leurs liens malgré l’instabilité. Même en exil à Beyrouth, le fait de recevoir cette aide leur rappelle qu’ils ne sont pas seuls et que des efforts sont faits pour les soutenir. Cela nourrit l’espoir, si vital en ces temps sombres.