Membres de Reconquête, le député européen Nicolas Bay et le sénateur Stéphane Ravier rentrent d’Arménie. Ils accusent l’Azerbaïdjan et son mentor turc de vouloir faire disparaître le plus ancien pays chrétien du monde. Notre envoyé spécial à Goris les a suivis sur place. Reportage.
Accroché au volant d’une Mercédès poussiéreuse, le maire de Vérishen, district de Goris, ouvre la route. À la sortie du village, un verger de mûriers surgit au bout d’une piste défoncée qui serpente entre souches et trous de bombes. Derrière, le gros Land Cruiser des Français suit en s’ébrouant sur les rocailles.
Trois semaines après les violents combats qui ont fait 207 morts et près de 300 blessés dans les rangs arméniens le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan (qui annonçait 80 morts et 281 blessés dans ses rangs), deux parlementaires français se sont rendus dans la région sinistrée du Syunik au sud de l’Arménie, à cinq heures de route de sa capitale Erevan.
Le député européen Nicolas Bay et le sénateur Stéphane Ravier ont fait le déplacement sans mandat officiel ni mission de leur parti Reconquête, qui appuie l’initiative de ses cadres. Objectif : soutenir le peuple arménien et témoigner des violences commises par l’armée azerbaïdjanaise qui a frappé et envahi une fois de plus le territoire arménien les 12 et 13 septembre derniers.
Officiellement, des tirs de représailles. Admettons. Pourraient-ils justifier les incursions et l’occupation illégale de 50 km² à l’ouest des frontières reconnues internationalement ? Le bombardement d’habitations civiles éloignées de tout objectif militaire ? L’exécution sommaire de soldats en uniforme, les viols et les actes de torture ?
Les traits tirés par un périple dans les villages meurtris par la guerre, où les tirs aveugles de l’allié de la Turquie ont éventré granges et maisons et blessé de modestes paysans dans leurs champs, nos observateurs découvrent les jeunes pieds d’abricotiers plantés et clôturés avec l’aide de l’association SOS Chrétiens d’Orient au pied des montagnes pelées du Syunik.
Saisi par ces massifs puissants et graves, Nicolas Bay empoigne son portable. Engoncé dans son épais treillis râpé, le maire-soldat s’extirpe de l’enclos troué et le rappelle à l’ordre : « On ne filme pas : zone militaire… » Consigne dérisoire si l’on songe que les drones d’observation turcs pourraient facilement nous tirer le portrait pour le compte du service de renseignement extérieur de Bakou.
Difficile d’imaginer que des tirs d’artillerie et des drones Bayraktar turcs TB-2 vombrissant sont partis de ces sommets silencieux où les bergers faisaient encore paître leurs troupeaux de vaches noires à la fin de l’été. Depuis, le Lac Sev qui se cache quelque part devant nous est encerclé par les régiments de montagne azéris, mais l’artillerie arménienne endeuillée, en infériorité numérique et militaire, tient la ligne de crête et s’y accroche depuis le cessez-le-feu.
« L’Arménie essuie la violence et les exactions de l’Azerbaïdjan et de la Turquie, déplore Nicolas Bay. Nous voulions être aux côtés de nos amis arméniens qui subissent attaques, bombardements et invasions de leur territoire ». Très remonté contre l’indifférence des grands médias et de la classe politique française, il pointe la compromission de l’Union européenne avec l’Azerbaïdjan et la Turquie. « Quelques jours après des frappes azerbaïdjanaises, la présidente de la Commission européenne s’est rendue à Bakou. Sans même poser des conditions sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie, Mme Van Der Leyen a proposé que l’UE se défasse d’une dépendance au gaz russe au profit du gaz de l’Azerbaïdjan. »
En contrebas, Stéphane Ravier a rejoint le maire de Verishen, tout occupé à farfouiller dans un trou de bombe qui a déchiré le sol à l’entrée du verger. Corentin, le coordinateur de SOS Chrétiens d’Orient, en retire une poignée de bouts de métal déchirés, restes de l’ogive qui visait la parcelle et ses exploitants. Celle-là n’a pas fait de victimes. Le sénateur soupèse un fragment de bombe. Il a déjà rempli une bouteille de terre d’Arménie qu’il compte ramener en France. Difficile à cet instant de ne pas penser aux soldats écharpés par la mitraille azérie dans les districts frontaliers de Dachkesan, Kelbadjar et Lachine et près des villes de Vardenis, Sotk et Djermouk prises pour cibles comme Goris sous un feu d’artillerie, de drones de combat et d’armes lourdes made in Turkey and Israel.
« J’avais effectué un premier voyage en Arménie en octobre 2020, rappelle le sénateur des Bouches-du-Rhône, quelques jours après l’attaque éclair de l’Azerbaïdjan en Artsakh (l’ancien nom arménien de l’actuelle république auto-proclamée de Transcaucasie le Nagorny-Karabakh-ndlr). Je m’étais rendu au cimetière militaire d’Erevan, au mémorial du génocide, et j’avais rencontré l’ambassadeur de France pour qui il y avait déjà un agresseur et un agressé. À l’époque, Goris n’était pas à portée de tir de l’artillerie azérie. »
Déplorant lui aussi l’apathie médiatique autour des crimes de guerres perpétrés par l’alliance turco-azérie qui désormais sent bon le gaz de ville, il évoque ouvertement les visées expansionnistes du régime de Bakou, obsédé par la disparition annoncée des dernières miettes de la grande Arménie qui défiait Rome, la Perse et l’empire ottoman. « Tout le monde disait que l’Artsakh n’était qu’une étape et que l’Azerbaïdjan continuerait son offensive sur l’Arménie, malgré une présence militaire russe dissuasive censée défendre les frontières arméniennes. L’Arménie est dans un étau, prise entre l’indifférence de l’Occident et l’impuissance de la Russie. »
Une rencontre avec un berger de Vérishen, blessé dans les environs pendant les bombardements en allant secourir des voisins, est l’occasion d’un constat glaçant : les incidents de frontière, la guerre de harcèlement et les tirs destinés à paniquer la population civile arménienne s’inscrivent dans un temps long.
Comme leurs voisins plus au nord, les habitants de la province du Syunik en sont convaincus. Ils l’ont répété à nos observateurs : pour les présidents Erdogan et Alyev, entend-on ici, l’expansion de l’espace politique musulman ne s’arrêtera pas aux frontières de la Transcaucasie. Ni les cessez-le feu, ni les missions d’observateurs de l’UE, ni les réunions au sommet à Budapest, Genève ou Moscou n’entraveront la sanglante synthèse islamo-kémaliste vers l’ouest, les rives de la Méditerranée orientale et les plaines d’Asie centrale.
Faut-il y voir une menace pour les républiques molles d’Europe occidentale ouvertes aux vents mauvais d’un islam conquérant et belliqueux ? Et parmi elles, la France et ses Lumières vacillantes ? « Après les Arméniens, ce sera notre tour, prophétise le sénateur des Bouches-du-Rhône. Ça pourrait aller plus vite qu’on le croit sachant que le manque de réaction de l’Europe en Arménie est un encouragement pour ceux qui rêvent d’un empire ottoman reconstitué. Tous les feux sont au vert pour l’Azerbaïdjan, entre invasions, tortures et exécutions. Les Russes n’ont plus les moyens de se fâcher avec la Turquie ; les USA ménagent ce membre stratégique du flanc sud de l’OTAN en l’Europe, qui vit sous la menace d’une déferlante migratoire en provenance de Turquie. »
Propos recueillis par Claude Corse