« Mon pays m’a fait mal sous les sombres années,
Par les serments jurés que l’on ne tenait pas,
Par son harassement et par sa destinée,
Par son lourd fardeau qui pesait sur ses pas. »
Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes
Partir en mission humanitaire était un rêve que je nourrissais depuis des années.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai imaginé me retrouver au cœur d’un pays lointain, prête à aider ceux qui en ont besoin. Plusieurs personnes de mon entourage, voyant ma détermination, m’ont guidée vers SOS Chrétiens d’Orient.
Pendant longtemps, j’ai hésité, j’ai observé de loin ceux qui osaient franchir le pas, ceux qui se lançaient dans les démarches. Puis, un jour, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai enfoui ma timidité, étouffé mes peurs et j’ai commencé les procédures pour partir en mission.
Je ne vous cacherai pas que j’étais terrifiée à l’idée de ne pas être choisie. Peut-être à cause de mon jeune âge, sûrement à cause de mon manque d’expérience, et pourquoi pas à cause de ce grain de folie qui m’anime. Mais, au fond, ce qui me hantait le plus, c’était ma paresse. Ce défaut, que je traîne depuis des années, risquait d’être un obstacle insurmontable pour partir. Pourtant, contre toute attente, j’ai été envoyée là où je n’aurais jamais pensé trouver une seconde maison.
Quand je suis arrivée en Égypte, c’était comme si j’y avais toujours appartenu. Aucune des coutumes locales ne m’a surprise. Ni la conduite de cow-boy, ni le brouhaha incessant d’une ville qui ne dort jamais, ni même le muezzin qui appelle à la prière, fidèle à son rendez-vous quotidien. Tout m’était étrangement familier.
Rapidement, j’ai trouvé mes repères, comme si ce pays m’attendait depuis toujours. À l’aéroport, un interprète, et une volontaire sont venus me chercher. Leur sourire rayonnait malgré la fatigue. Leur accueil chaleureux m’a enveloppée d’un sentiment de sécurité, et cette première soirée, bien que courte, a marqué le début de ce qui allait être une expérience intense. Dès le lendemain, j’ai plongé au cœur de la mission. Nous sommes allés à la cité des morts, cet ancien cimetière du Caire devenu refuge pour les plus démunis. Là, nous avons distribué des sacs individuels soigneusement préparés par Miss Leïla, une femme d’une douceur et d’une générosité sans pareil.
Ces premières heures m’ont bouleversée. Au milieu de la misère, j’ai découvert une humanité profonde, un lien invisible qui nous unissait tous, malgré nos différences. Ce n’était que le début, mais je savais déjà que cette mission allait changer ma vie.
Puis, les activités se sont enchaînées. Entre les cours de français et d’anglais, les moments de jeux dans les garderies et les orphelinats, chaque journée semblait plus remplie que la précédente. À chaque nouvelle mission, je pensais pouvoir me donner un peu plus, offrir un peu plus de moi-même. Mais à chaque fois, c’était moi qui recevais davantage. Je croyais me donner, tout donner, tout ce que j’avais.
Mais en réalité, j’ai tout reçu, tout ce que je n’avais pas encore.
Cette mission m’a transformée. Elle m’a permis de grandir, de comprendre que l’essentiel ne réside pas dans ce que l’on donne, mais dans ce que l’on partage.
Chaque activité m’a marquée d’une manière unique. Le sourire du chiffonnier à qui l’on tend un panier repas, les yeux pétillants de l’enfant que l’on félicite pour son travail, les gestes heureux d’un enfant handicapé qui éclate de rire en jouant avec des bulles, le rire enfantin d’un orphelin, porteur de tant d’innocence malgré une vie déjà trop lourde…
Ces instants resteront gravés en moi, des moments où j’ai réalisé que donner, ce n’est pas seulement un acte de générosité, mais une opportunité de recevoir quelque chose de bien plus précieux en retour. Et ce que j’ai reçu, au-delà des sourires et des regards, c’est une leçon de vie, une force nouvelle, et une richesse intérieure que je n’aurais jamais imaginée trouver là-bas.
Il y aura toujours des souvenirs plus présents que d’autres. Parmi eux, certains enfants, certains interprètes avec qui j’ai partagé des moments privilégiés, ou encore certains responsables d’école avec qui j’ai tissé des liens indélébiles. En rentrant en France, ces visages, ces instants qui reviendront souvent me hanter, mais d’une manière douce et réconfortante.
Je me souviendrai toujours du petit garçon de l’école de Miss Marlène, ce gamin plein de vie qui criait « kochariiiii » de toutes ses forces chaque fois que je le prenais en photo pour l’arbre du mérite. Son sourire éclatant, son énergie débordante resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Ce simple mot, crié avec tant de joie, résonnera encore longtemps dans mon cœur.
Et puis, il y avait cette petite de l’école de Zeitoun, lieu sacré des apparitions de la Vierge Marie. À chaque fois qu’elle me voyait arriver pour le cours de français, elle venait me faire un câlin. Son geste, simple et spontané, me touchait profondément. C’était comme un rituel entre nous, un moment d’affection pure qui me rappelait chaque jour pourquoi j’étais là.
Je n’oublierai jamais les dames de Matareya, cette maison de retraite tenue par des sœurs, véritable havre de paix au milieu du tumulte quotidien. Elles me regardaient avec une telle douceur, comme si j’étais leur propre petite-fille, et je les considérais comme mes grand-mères. Je jouais avec elles, je les prenais en photo, officiellement pour la communication de l’association, mais en réalité, c’était pour garder à jamais leurs visages en tête. Chacune de leurs rides racontait une histoire, une vie marquée par le temps et la solitude. Ces visages, abîmés mais empreints de tant de tendresse, resteront gravés en moi, tout comme la délicatesse de Sœur Canaa, qui s’occupe d’elles chaque jour avec une attention et un amour maternels.
Et puis, il y avait les garçons de Zawia, mes chouchous, je l’avoue sans honte. J’y allais pour des cours d’anglais, mais au fil des jours, j’ai suivi les plus grands, notamment l’un d’entre eux, qui avait grandi trop vite. À mon contact, j’ai vu cet adolescent redevenir l’enfant qu’il n’avait pas eu le temps d’être. Le voir rire, retrouver son âme d’enfant, c’était pour moi une victoire, une petite lumière dans ce quartier si sombre et délabré. Ce petit John, ce rayon de soleil au milieu du chaos de Zawia, me manquera particulièrement. Son sourire, sa présence, tout en lui réchauffait mon cœur.
Puis, il y a eu ce dernier soir de maraudes, une semaine avant mon départ. C’est ce moment qui m’a touchée le plus profondément, et qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. Ce soir-là, je suis partie en voiture avec Mina et Miss Leïla, direction la Cité des Morts, pour distribuer des sacs de nourriture. En arrivant, j’ai tendu le bras pour en donner un, puis deux, puis trois. Le nombre de pauvres semblait s’accroître à chaque instant, et en quelques minutes, tous les sacs furent distribués.
C’est à ce moment précis que mon cœur s’est brisé. Une petite fille, à peine âgée de 7 ans, s’est accrochée au rétroviseur de la voiture, suppliant pour un sac. Elle insistait, ne lâchait pas prise, mais nous n’avions plus rien à lui donner. Je me sentais impuissante, déchirée entre mon désir de tout lui offrir et la réalité cruelle de notre situation. Les pensées se bousculaient dans mon esprit. Je voulais lui offrir une vie décente, une vie qu’elle ne pourrait jamais imaginer dans sa pauvreté.
Je n’oublierai jamais la voix brisée de Mina, essayant de la faire partir. Il ne servait à rien qu’elle s’accroche à la voiture, nous avions tout donné. Son frère est finalement venu la chercher, et nous avons pu partir. Mais le retour à la maison fut amer. Les larmes coulaient sans cesse sur mon visage. Je me sentais vide, incapable de penser à autre chose que cette petite fille à qui je n’avais rien pu offrir.
J’aurais voulu avoir plus de sacs, j’aurais voulu pouvoir lui donner ce qu’elle demandait, mais nous avions fait tout ce que nous pouvions. Alors que nous nous éloignions de la cité des morts, j’ai aperçu cette petite fille, une cuillère à la main, en train de mâcher avidement les pâtes bolognaises que Miss Leïla avait préparées avec tant de générosité. La douleur s’est atténuée en voyant cela, mais elle n’a pas disparu. Ce pays, que je considérais désormais comme le mien, continuait à me faire mal.
C’est en cet instant que j’ai compris ce que Robert Brasillach voulait dire lorsqu’il parlait de la France décadente lors de son emprisonnement. Je me sens chez moi ici, en Égypte, et voir la plaie béante qui la traverse est déchirant. Cette mission m’a ouvert les yeux sur une réalité que je ne connaissais pas, mais elle m’a aussi ancrée dans un amour profond pour ce pays, malgré ses souffrances.
Alors voilà, ma mission a été de courte durée. J’aurais aimé la prolonger de quelques mois, rester davantage pour m’imprégner encore de cette terre, de ses habitants, et de tout ce qu’ils ont à offrir. Mais d’autres devoirs m’attendent en France, et il me faut repartir. Pourtant, au fond de moi, je sais que ma mission n’est pas encore terminée. Je repars, mais une partie de moi reste ici, en Égypte.
En venant ici, j’ai appris bien des choses. J’ai vu la charité qui anime nos interprètes, cette flamme qui les pousse à donner sans compter, jour après jour.
J’ai vu les progrès des enfants, ces petits qui, un jour, bénéficieront de ces cours de français que nous leur avons donnés avec tant de passion. J’ai vu le sourire des dames de Matareya, ces visages marqués par le temps et la solitude, qui méritent bien plus qu’une visite par semaine. Chaque instant passé ici m’a appris une leçon précieuse.
Je pensais venir ici pour donner, me donner entièrement. Mais avant de pouvoir vraiment donner, j’ai dû apprendre à recevoir. J’ai reçu tant de choses en Égypte.
J’ai reçu des leçons de Foi, des exemples de dévotion et de générosité que je n’oublierai jamais. J’ai reçu de la charité, de l’affection, et de la reconnaissance pour ces petites actions que je considérais comme insignifiantes. Je repars emplie de toutes ces grandes choses qui m’ont grandie, qui m’ont transformée.
Et c’est avec cette richesse intérieure que je réalise que l’espérance est l’une des plus grandes vertus que Dieu nous a données. Ici, en Égypte, au milieu de la pauvreté, de la souffrance, et des difficultés, j’ai vu l’espérance briller dans les yeux de ceux que j’ai rencontrés. C’est cette espérance qui m’accompagnera de retour en France, et qui me rappellera chaque jour que ma mission, même si elle semble terminée, continue de vivre en moi, dans mes actions, et dans mon âme.
Lucie, volontaire en Egypte.
Responsable des volontaires