Dans ce témoignage, Apolline nous livre un récit captivant de son mois passé au Liban avec SOS Chrétiens d’Orient. Au-delà des paysages magnifiques, elle nous raconte les rencontres qui ont marqué son cœur et l’ont poussée à lâcher prise pour vivre pleinement cette expérience humanitaire empreinte de foi et de charité.
« Je me souviens comme si c’était hier de l’instant où, écarquillés derrière le hublot de l’avion, mes yeux ont découvert pour la première fois les immeubles de Beyrouth et ses tours dépareillées. Je crois que c’est à cet instant précis que j’ai pris conscience que j’avais signé un chèque en blanc en décollant pour cette mission, mais qu’ici, plusieurs mètres plus bas, une incroyable aventure m’attendait.
Un mois, c’est rapide. Trop rapide pour prétendre avoir compris et connaître le Liban, car même toute une vie n’y suffirait pas. Par ce témoignage, je n’essaierai pas de t’expliquer les enjeux politiques, religieux et économiques de ce pays car, pour être honnête, on n’y comprend rien. J’essaierai plutôt de te raconter le Liban. Je te raconterai ce que j’y ai vu, senti, entendu, vécu, ressenti. C’est difficile de décrire une expérience tellement riche et humaine sur un misérable petit clavier d’ordinateur.
“Tu as aimé le Liban ?” aiment nous demander les habitants et amis du quartier que l’on croise avant de rentrer en France. Oh oui, j’ai aimé le Liban ! J’ai aimé me faire petite souris au milieu des ruelles, saturées de chaleur et de circulation à toute heure du jour. J’ai aimé voir tous ces visages ridés par leur sourire, sentir ces odeurs mêlant mazout, poubelles et poulet Tawouk parfumant les rues de Beyrouth, et ouvrir ces portes donnant sur l’intimité d’un appartement, sur une histoire.
Là-bas, dans cette ville qui s’éloigne peu à peu dans les nuages pendant que l’avion prend de l’altitude, j’ai aussi beaucoup appris, compris et découvert. J’ai appris que dans la vie il n’y avait pas de problèmes mais seulement des solutions. Que vivre en communauté avec six inconnus était possible, et que c’était même sympa. J’ai appris que même sans électricité, la vie continuait. J’ai découvert que j’étais capable d’attraper par les antennes un cafard agonisant, pour lui indiquer poliment le chemin des canalisations. J’ai découvert que le thym dans de la pâte à pizza était un délice (surtout avec l’option fromage) et que ça s’appelait le manouché. J’ai aussi découvert ce que représentait la gestion humaine et administrative d’une mission de SOS Chrétiens d’Orient au Liban. J’ai eu cette chance de travailler main dans la main avec Arthur Lanternier, chef de mission au Liban, Rouba Naous, chargée des projets, Ramy Nader, responsable des volontaires et ainsi de découvrir tous les tenants et aboutissants du beau travail de l’association.
Si je devais te raconter le Liban, je te parlerais de ces paysages grandioses, allant des grandes vallées du Chouf aux cascades de Yahchouch, en passant par la mer turquoise de la Méditerranée. J’ai découvert des endroits inconnus où la nature était reine et la Création en fête. Une végétation foisonnante, jaillissant de toutes parts, partout où elle peut percer la terre. J’ai découvert de majestueuses roches parsemées de pins, de cèdres et d’églises.
Le Liban est avant tout une expérience humaine à vivre. Que ce soient par les yeux pétillants de Sébastien, un jeune d’une colonie, par le rire cristallin de Marie Chkaiban, responsable des donations et visites aux familles, par le sourire édenté de Georges, homme handicapé rencontré en visite aux familles, ou par les mains trapues d’Assad, toujours prêt à résoudre les problèmes techniques de l’appartement.
C’est par toutes ces rencontres que je me suis rendue compte qu’ils étaient là pour moi plus que je ne l’étais pour eux. Car bien-sûr, on ne ressort pas indemne d’une mission humanitaire, quelle qu’en soit la durée. Et il n’est pas nécessaire de partir à l’autre bout du monde pour avancer et grandir. Je n’ai pas changé le monde, loin de là. J’ai eu la chance de vivre une magnifique expérience, qui avait du sens et qui s’enracinait dans ma foi. Je pense que les graines semées dans mon cœur n’ont pas encore germé jusqu’à atteindre mon intelligence, mais le temps viendra peu à peu affûter, vernir, poncer ce pêle-mêle de souvenirs.
S’émerveiller au quotidien pendant une mission n’est selon moi pas l’exercice le plus aisé. Car la misère humaine est difficile à regarder en face. Que ce soit dans un appartement miséreux de Beyrouth, qui empeste les poubelles ou dans les couloirs du métro parisien, ce sont les mêmes regards que l’on croise, les mêmes mains tendues. La seule différence est la disposition à les voir, puis à les regarder. C’est toujours le même discours que l’on entend, n’est-ce pas ? Et pourtant c’est si vrai… La pauvreté, la vraie, celle qui crie l’injustice et qui vous prend aux tripes, c’est révoltant. La seule chose que l’on peut faire, c’est être là.
Et grâce à SOS Chrétiens d’Orient, à Marie Chkaiban, aux donations j’ai pu être présente aux côtés de personnes vers qui je n’aurais jamais eu l’occasion d’aller. Je me souviens de l’odeur répugnante qui est venue me gifler au visage lorsque nous sommes rentrés dans l’appartement d’une femme atteinte du syndrome de Diogène. La maladie du “tout garder, ne rien jeter”. Son corps en surpoids se répandait autour d’elle autant que ses montagnes de déchets. La stratégie que j’ai tenté de mettre en place pour tenir le coup, était de me concentrer sur son regard, reflet de l’âme : me focaliser sur l’être humain que j’avais en face de moi.
Est-ce peut-être cela le secret ? Chaque jour de cette mission, j’ai tenté de faire de mon mieux pour faire vivre le travail de SOS Chrétiens d’Orient au Liban. J’ai été une des nombreuses graines semées sur cette terre bénie, où poussent cèdres et pierres depuis des millénaires. Mais si nous, les volontaires, nous trouvons autant de joie à nous mettre au service des Libanais, c’est que nous recevons tellement plus que ce que nous donnons. Certes, un travail d’adaptation et de lâcher-prise est à faire. Cela a été pour moi l’occasion de sortir de ma zone de confort pour placer mon prochain avant moi, mais pour ensuite mieux me retrouver. Se laisser porter au gré de la mission offre disponibilité et repos de l’âme.
Je me suis rapidement rendue compte que les coupures (parfois longues) d’électricité, les pannes d’eau courante ou bien l’air chaud et pollué de Beyrouth ne prendraient jamais le dessus sur les souvenirs joyeux partagés avec les Libanais. Avec eux, tout est un prétexte pour rire, danser, chanter, jouer de la musique. Pour eux, la vie est une fête et elle n’a pas de prix. À chaque jour suffit sa peine, à chaque jour il faut sa dose de joie. La tête encore pleine de musique, c’est le cœur léger que je décolle de Beyrouth, car j’y ai laissé mes peurs, mes doutes et mes inquiétudes. Je les ai remplacés par la joie profonde d’avoir apporté une pierre à l’édifice.
Et si tu me demandes quel est le secret de cette joie des Libanais malgré toutes leurs difficultés, je répondrai qu’elle est le fruit d’une foi qui a toujours été vécue et partagée. Là-bas, elle est une évidence du quotidien, sans cesse rappelée par les statues de la Vierge ou des saints patrons du Liban, dans les rues ou les halls des immeubles. Veilleurs de l’ombre, témoins dans le silence, ils nous rappellent qu’ils ont foulé cette terre sans cesse éprouvée et qu’ils intercèdent pour tous ceux qu’elle accueille. C’est grâce à cette foi que les Libanais les plus touchés par la crise ont gardé l’essentiel. Ces coins prières chargés d’icônes, de statues, de bougies et de chapelets trônant dans des appartements à peine meublés en sont la preuve.
On dit souvent que le Liban est un phœnix qui renaît toujours de ses cendres. J’ai été édifiée par la capacité de ce pays à se relever, se reconstruire, rebâtir, notamment suite à la terrible explosion du port de Beyrouth en août 2020, ou encore après cette crise économique fulgurante qui a figé tous les comptes bancaires et a obligé les Libanais à se débrouiller avec le peu d’argent liquide qu’ils avaient. Puis, ils ont dû tout recommencer à zéro pour continuer à vivre. C’est tout cela qui rend le Liban si beau. Il est beau par tout ce qu’il a traversé. Car même dans les pires difficultés, les Libanais aiment leur pays. Ils en sont fiers et sont prêts à tout pour le défendre. Malgré la présence de nombreux quartiers musulmans, des chrétiens continuent d’y vivre et d’y faire rayonner leur foi. Les innombrables croix qui surplombent les clochers sont le signe concret de cette fidélité et l’étendard de leur persévérance.
Pour tout cela, prie pour le Liban, prie pour que le découragement et la peur ne parviennent pas à étouffer la flamme qui, tant bien que mal, éclaire. Le Liban, c’est la joie de la foi partagée en communauté. C’est l’espérance d’un avenir meilleur et d’une renaissance qui prend le temps. C’est la charité des cœurs toujours ouverts à la rencontre et à l’entraide. Toi aussi, viens ajouter ta brindille ou ta bûche à ce brasier ardent qui réchauffe et redonne du courage. Les Libanais t’attendent, ils ont besoin de toi ! »
Apolline, volontaire au Liban
Responsable des volontaires