J’en ai entendu des vertes et des pas mûres au sujet de la Syrie, vous aussi certainement, mais comme Saint Thomas, attendez d’y aller avant de vous forger une idée finale.
Un sentiment d’excitation mêlé à la curiosité m’empêche de trouver le sommeil dans l’avion.
Ça y est, j’y suis, le visage collé contre les différentes vitres des voitures qui se succèdent pour me conduire à Damas, avant ma destination finale du lendemain, Alep. Je scrute l’obscurité pour tenter de définir les courbes des bâtiments meurtris par les pluies de bombes du passé, pas si éloigné que ça. J’imagine la violence des déflagrations qui ont fait trembler tout le quartier. Doux Jésus.
Alep te voici. Je devine le luxe passé de cette ville. Un certain charme y perdure et contrairement à d’autres mégapoles orientales, les rues semblent étrangement propres. Le peu d’espaces verts est entretenu. Elle a fière allure cette belle endormie, je suis déjà conquis.
Tous ces enfants en bas âge, qui travaillent dans les rues, je n’en reviens pas, ils ne vont pas à l’école ?! On m’expliquera plus tard qu’un Père ne permettrait jamais qu’un enfant chrétien soit exploité ainsi, et le prendrait sous son aile protectrice, immédiatement.
L’accueil dans la mission est chaleureux. Je retrouve Jean-Rémi, chef de mission adjoint en Syrie, rencontré en 2019 lors de ma 1ère mission en Égypte.
La ville, qui va m’accueillir pour ma nouvelle mission chrétienne pendant deux mois, me fascine déjà. Il y a une vraie énergie et une volonté d’espérance.
Les journées sont rythmées par les coupures successives d’électricité et par le rationnement drastique de l’essence. D’énormes groupes électrogènes diesel, gros comme des camions, déversent leurs crachats noirâtres ininterrompus au son de lourds vrombissements incessants qui font maintenant partie de mon quotidien. Ces ampères sont vendus par des sociétés à ceux qui souhaitent faire fonctionner leur frigo ou ventilateur plus de quatre heures par jour ! Beaucoup n’utilisent que l’électricité de la ville et s’organisent en fonction des quelques heures fournies.
Nos actions sont multiples à destination des plus démunis. La distribution de colis hygiénique pour les personnes âgées ou souffrant d’une pathologie génétique, me permet de rencontrer et de communiquer en direct avec la population.
Tant à dire, tant de leçons à en tirer. Ceux qui n’ont rien donnent tout. Je me souviens de ces dames, toutes veuves, vivant alitées dans le salon, entourées ou pas de leurs familles proches. A la question : « Comment pouvons-nous vous aider ? » Toujours la même réponse : « Merci, grâce à Dieu j’ai tout ce qu’il me faut. » Humilité mère des vertus.
Je garde également en mémoire le regard de cette dame octogénaire agonisant sur son canapé. Il faisait 40° à l’intérieur de l’appartement ! Aucun courant d’air et pas d’électricité pour faire fonctionner l’unique ventilateur disponible. C’est terrible.
Je sympathise avec deux sœurs syriennes volontaires qui nous accompagnent occasionnellement, la plus âgée, Marina, me parle fréquemment des heures sombres du passé. J’ai encore cette histoire qui est restée ancrée dans mon oreille gauche.
« Je me souviens du fracas de l’explosion et de la force irrésistible qui m’a projeté à terre. J’ai repris mes esprits à l’hôpital Saint-Louis, le cuir chevelu plein d’éclats de verre, courbatu, sans force. » C’était à Midan, quartier maintenant en pleine reconstruction, où l’association finance la restauration des appartements de familles chrétiennes, et où les volontaires travaillent avec les ouvriers qualifiés. « Une bombe venait de tomber à proximité, j’étais vivante et pratiquement indemne, alors qu’il y avait tant de victimes ! J’ai compris que j’avais frôlé la mort.
J’étais bouleversé, mais je n’ai pas eu de peur rétrospective, car j’avais la certitude absolue que, si j’avais été tué, tout aurait été bien pour moi : j’aurais été avec Jésus Christ dans le ciel. »
Ici rien ne se jette, tout se récupère, se recycle, se transforme, se répare. Avec près de 87% des foyers vivant sous le seuil de pauvreté, chaque bien a sa valeur ! Pas de surconsommation ici.
Je pense à toutes ces églises qui ont été en partie ou complètement détruites par les terroristes, profanées par des tags injurieux, les icônes lacérées, brûlées, le mobilier détruit. Tout recommence à nouveau, encore et encore. La générosité des donateurs ajoutée à la force de volonté des paroisses font des miracles. Ils ne nous enlèveront jamais notre Foi, jamais.
Ma foi d’enfant est devenue une foi personnelle, et j’ai choisi en grandissant, de suivre Jésus. Cette nouvelle mission est un cri du cœur.
Ce petit témoignage pour parler d’une mission avec Jésus-Christ, de la manière dont il m’a délivré dans de nombreuses occasions, car il s’est occupé de moi chaque jour, et j’ai tenté de répandre son amour en Syrie.
C’est à contre cœur que je quitte la Syrie, elle a autant besoin de moi que j’ai besoin d’elle.
Sébastien, volontaire en Syrie
Responsable des volontaires