« Mon Père Mon père je m’abandonne à Toi, fais de moi ce qu’il Te plaira … »
Voilà la phrase de Charles de Foucault qui m’a dicté ma mission en Syrie et ne m’a jamais quitté durant 3 mois.
Le retour au monde occidental est dur tant ce pays est fascinant et attachant. Je me souviens avec précision de mon arrivée à l’aéroport de Damas, de cette chaleur si particulière, de ce sable qui rentrait partout, du sourire des enfants et des adultes qui étaient heureux de revoir des Français après des années de conflit et d’embargo.
Notre chauffeur (qui deviendra un grand ami) vient me chercher avec un autre volontaire pour nous amener à Damas. Premier trajet et je sentais déjà que ce pays m’envoûterait…
Et j’avais vu juste, chaque ville, chaque village où je passais m’émerveillait et me donnait encore plus le courage d’aider ce si grand Peuple que tout le monde a abandonné, y compris cette Europe pas si lointaine.
De Damas à Alep, de Homs à Mhardeh, de Maaloula à Saidnaya, que de belles rencontres, de thés partagés, de rires avec les enfants, et de mains des anciens réchauffées dans les nôtres.
J’ai découvert une communauté chrétienne extrêmement unie et solidaire, j’ai visité et j’ai été invité de très nombreuses fois dans des familles, et toutes avaient vécu, pendant la guerre, la perte d’un proche au moins, ou vu son exil dans un autre pays pour fuir la pauvreté ou les terroristes, souvent les deux.
L’accueil que vous réservent ces populations est d’une impressionnante générosité, ils n’ont rien et ils vous offrent tout. La maîtresse de maison veillera à ce que vous ne manquiez de rien et que votre assiette soit toujours pleine (régime fortement proscrit donc…).
Leurs spécialités culinaires représentent bien le pays avec toute sa richesse et sa complexité.
Les actions de SOS Chrétiens d’Orient en Syrie sont d’une importance capitale et vitale, car pratiquement aucune association ne vient en aide aux plus pauvres et aux plus fragiles.
Le travail avec les orphelins et les personnes âgés de Damas m’a énormément touché, leur joie de vivre alors que leur situation est d’une grande précarité montre leur foi profonde.
Je me souviens tout particulièrement de Dorine, une dame âgée habitant dans la maison de retraite du centre de Mar-Boulos à Damas. Un jour par semaine, les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient y partagent le repas avec les retraités et jouent aux ballons avec les orphelins l’après-midi.
Madame Dorine nous accueille toujours avec un grand sourire et dans un français impeccable, nous remercie à chaque fois de notre venue. « Je regrette que les Français soient partis de mon pays ! L’amitié de nos deux peuples fait partie intégrante de la culture syrienne. C’est en renouvelant le dialogue que mon pays renaîtra après la guerre. »
Alors que les bombes tombaient d’Alep à Damas, et que l’avenir paraissait parfois si incertain, les autochtones ne cessaient de sourire et de rigoler, même quand l’hiver était là (le plus rigoureux de la décennie) et que l’embargo empêchait d’avoir suffisamment de mazout ou de gaz pour se chauffer avec décence.
J’ai eu l’immense chance de pouvoir tourner dans plusieurs villes, dont celle d’Alep qui m’a marqué du fait des bombardements quasi permanents des terroristes sur la banlieue proche.
Je me souviendrai toute ma vie du rougeoiement du ciel le soir et du bruit sourd et puissant qui faisait trembler les fenêtres et annonçait inévitablement la mort et la destruction.
Et quelle leçon d’humilité et de courage quand je voyais les Aleppins garder la tête haute et reconstruire sans relâche leur ville et leur pays, et garder toujours espoir malgré l’invasion Turque et la trahison des Kurdes à l’Est.
Et puis est venu Noël que nous avons passé à Homs, quel symbole fort.
Une ville quasi totalement en ruines, une ville qui a souffert encore plus que les autres de la guerre. Dans le quartier où nous étions, un immeuble sur deux était partiellement ou entièrement détruit. Ça n’empêche pas les habitants de sourire, de rire et d’être pleins de vie ! Quelle leçon d’humanité pour moi, petit Toulousain qui n’a jamais connu de privations…
Alors on s’efforce de se faire humble, de sourire franchement avec humilité et tendresse, on se laisse pénétrer par le pays avec toutes ses contradictions et ses traditions.
On joue avec les enfants, on parle aux personnes âgées, on enlève à coups de marteau la suie incrustée dans le béton. Parfois on va visiter des familles en difficulté, qui nous accueillent avec amour et bonté. On s’assoit, on boit un café à la cardamome, on accepte une cigarette offerte, on parle de Noël et du quartier.
Ensuite on aborde la Guerre, on parle de ceux qui sont partis de ceux qui sont morts… on parle de la petite qui ne va pas à l’école car la famille est trop pauvre, on parle du toit qui n’empêche pas le froid de rentrer. Alors le silence se fait, celle qui nous accueille lève les yeux au ciel, des larmes commencent à couler, les mains font trembler les tasses, on susurre une prière du bout des lèvres. On essaie d’avoir un regard de tendresse et de compassion.
Pour briser la tristesse, je parle du soleil qui chauffe le dos, l’atmosphère se réchauffe, des mains se touchent.
On remercie, on serre des mains et on repart en marquant le sourire de celui qui n’a plus rien mais qui vous donne tout.
Et le soir on prie pour eux avant de s’endormir dans ces nuits d’Orient si mystérieuses.
Le lendemain, on rigole avec les volontaires, on se remet au travail pour que nos mains ne soient pas de trop dans ce pays qui nous accueille et nous nourrit.
Passer Noël à Homs, avec ce peuple aux si nombreuses églises et rites, sur cette terre si proche du Christ où l’Histoire n’épargne personne !
Mais je remercie cette mission parce qu’elle m’apprend à me dépouiller de tout, et je sais qu’à la fin du voyage ce pays m’aura mille fois plus apporté que ce que je ne lui ai apporté !
Et ce qui aura été le plus difficile pour moi c’est de quitter Maaloula ! Un village millénaire chrétien de montagne où l’on parle encore Araméen et où résonne trois fois par jour l’angélus dans cette langue.
Maaloula a souffert énormément de la guerre et le village a été occupé par les terroristes de Jhabad Al-Nosra. Des habitants ont été tués, des sœurs kidnappées, et des monastères du 1er siècle de la chrétienté ont été pillés, saccagés et profanés.
Beaucoup de maisons ont été détruites et SOS Chrétiens d’Orient leur apporte un soutien logistique, financier et humain depuis le début de la guerre, et n’a cessé de travailler avec les habitants pour relever le village et apporter de l’espoir, pour renouer nos liens avec cette terre plusieurs fois millénaire, berceau des premiers chrétiens.
J’ai été particulièrement marqué par la construction de la grande crèche de la chapelle du monastère de Mar-Sarkis qui avait été largement détruite par les terroristes et qui, plusieurs années plus tard, accueillait des volontaires français qui s’appliquaient pour que leur crèche inspire l’espoir et la magie de la Nativité dans cette terre chrétienne encore imprégnée du sang des victimes d’Al-Nosra.
Je reviens de cette mission en sachant que j’ai peu apporté, mais ce que j’ai fourni était déjà précieux pour ce peuple de Syrie si riche de cœur et si pauvre de biens, et qui parfois apprécie de voir des Français apporter une petite aide avec des mains qui n’ont jamais connu la souffrance, mais qui humblement veulent bien supporter un peu de leur charge.
Je ne reviens pas plus grand mais au contraire plus petit, plus humble, avec la certitude d’être toujours prêt à servir sans juger et sans rien attendre en retour.
Aymeric, volontaire en Syrie.
Responsable des volontaires