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De la désillusion à la joie de la mission

« Donne-moi ta grâce, elle seule me suffit » 

Cette phrase de la prière d’abandon de Saint Ignace de Loyola pourrait résumer ce qu’un volontaire vit en mission. Je l’ai méditée et gardée très souvent dans ma tête tout au long de ces neufs mois et demi de périple irakien, entre septembre 2022 et juin 2023. Neuf mois et demi de service et de présence auprès des Chrétiens de la plaine de Ninive, de joie et de fous rires avec les volontaires, d’émerveillement de l’accueil exceptionnel des Irakiens, d’aventures incroyables avec les collaborateurs…  

C’est avec cette phrase également que j’ai atterri à Erbil le 13 septembre dernier et que j’ai pu vivre mes premières semaines, assez douloureuses au départ. Pourquoi douloureuses ? Parce que la première démarche à faire en arrivant, c’est de faire le deuil de la mission que l’on s’était imaginée, que l’on s’était rêvée sur mesure, que l’on n’aura pas. Je pensais trouver un groupe important de volontaires sur place et mener plusieurs activités d’aide d’urgence. Je découvre en arrivant un petit groupe de trois Français dont l’une presque sur le départ, un contexte de relance de la mission après deux ans d’absence de volontaires, plus aucune action d’aide d’urgence car les camps de déplacés ont fermé et un seul lieu de travail : Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Bien évidemment ma première réaction est la déception : comment vivre une année scolaire entière dans ces conditions bien différentes de ce que j’avais imaginé ?  

IRAK
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Je prends le temps de décrire tout cela car je pense être ni la première, ni la dernière dans cette situation ! L’envie de changer de pays me traverse (l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin !) mais j’ai en même temps la sensation très forte que je suis à ma place.  

Je me souviens de mon entretien individuel avec la responsable des volontaires à Paris, quelques mois auparavant, lorsque la question fatidique m’avait été posée : « où souhaites-tu partir ? » Sans hésitation, j’avais répondu que je ne voulais pas me prononcer car je préférais largement que l’on m’envoie là où il y avait besoin.  
 
Par-là, je souhaitais que la Providence m’envoie là où je pourrai le plus me donner et là où je pourrai aussi le plus grandir. C’est donc avec cette certitude que l’on ne m’avait pas envoyée en Irak par hasard que j’ai pris conscience de la chance d’être ici. Mon état d’esprit a alors changé et j’ai pu recevoir ma mission avec joie, inconditionnellement, dans le contexte que l’on me présentait, sans plus subir la situation avec déception et dans l’impatience de découvrir ce que Dieu allait me réserver. 

Les premières semaines sont restées certes un peu éprouvantes. Nous étions parfois en pénurie de volontaires et d’activités et nous ne pouvions réouvrir la maison d’Alqosh, petit village chaldéen au nord du pays, qui avait été habité pendant quatre ans par les volontaires. Pourquoi la mission en Irak, première mission permanente de SOS Chrétiens d’Orient, qui s’était bien développée avec quatre lieux d’action en plus d’Erbil avait-elle dû fermer ? La plupart d’entre vous connaissent les évènements de janvier 2020 qui avaient conduits à l’évacuation de tous les volontaires français : l’enlèvement de quatre collaborateurs de l’association doublée par la crise du coronavirus. 

La mission reste fermée durant deux ans : les collaborateurs irakiens poursuivent les projets, mais sans volontaires ni chef de mission français. Lors de mon arrivée en septembre 2022, les volontaires sont sur le sol irakien depuis seulement sept mois. Tout est à repenser, à refaire, à relancer. Alors oui, le contexte n’est pas simple, mais quoi de plus fou que de mettre la main à la pâte dans ces conditions ? C’est tellement l’aventure ! Et qui rêve de pouvoir dire qu’il a participé au redémarrage d’une mission comme celle-ci ? 

Maryam, notre traductrice et responsable des activités à Erbil, prend contact avec des garderies et écoles locales, des centres et des familles pour nous faire découvrir le terrain. Nos activités sont variées. Nous donnons des cours de musique, d’anglais, ou animons des jeux auprès des enfants, repeignons les murs d’une maison de retraite, construisons des étagères pour une école, donnons des colis alimentaires et d’hygiène aux familles en difficulté, aidons les animateurs d’un centre pour enfants handicapés ou encore préparons et livrons des cadeaux de Noël aux enfants des paroisses locales. Notre but est le même : témoigner de notre soutien aux Chrétiens et les aider à reconstruire leur vie de façon pérenne à Erbil.  

Nous sommes là pour leur montrer que la vie peut se reconstruire ici, qu’ils ne sont pas seuls et que la solution ne se trouve pas forcément sur le sol des pays européens ou américains, qui présentent un lot d’épreuves considérable pour un réfugié (apprentissage de la langue, recherche de travail, intégration dans la culture locale…).  

A travers ces mois à Erbil, je me familiarise de plus en plus avec le mode de vie à l’irakienne : un rythme tranquille qui donne le temps de vivre, un accueil exceptionnel, une culture basée sur l’apparence et les paillettes, et l’omniprésence de Dieu à travers des chapelets et icônes présentes dans toutes les voitures et maisons des chrétiens. Ces populations vivent dans une grande solitude et restent traumatisées de la guerre et de la persécution. Beaucoup ont perdu un proche, un membre de leur famille et les photos sur les murs des maisons que nous visitons nous le montrent régulièrement. Ces Chrétiens sont littéralement pris au piège.  

Lorsqu’ils ont fui Mossoul ou Qaraqosh en 2014, une partie a réussi à quitter l’Irak et l’autre a dû s’implanter en catastrophe à Ankawa, quartier chrétien d’Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Des camps de déplacés ont été construits en vitesse et des milliers de personnes s’y sont entassées pendant plusieurs mois et années. A ce moment, beaucoup d’ONG et de paroisses les aidaient financièrement et matériellement. Cependant, à la libération de Mossoul, les propriétaires des terrains des camps ont demandé à tous les déplacés de rentrer chez eux ou de louer une maison à Ankawa. Du jour au lendemain, ils ont même coupé l’électricité et l’eau de certains camps pour accélérer le processus de départ des familles. La plupart des ONG et aides gouvernementales se sont retirées, ayant « terminé » leur mission.  

Malheureusement les familles n’avaient ni argent, ni travail pour louer une maison. Ankawa étant un quartier très riche et aisé, le montant des loyers est extrêmement élevé pour une petite surface à louer. Elles pouvaient rentrer dans leur ville d’origine, certes libérée, mais pour retrouver leurs maisons détruites, occupées ou pillées. Pour beaucoup, rentrer demeure un danger beaucoup trop grand car la menace d’assassinat est constante. 

Dès lors, beaucoup de familles ont cherché à fuir l’Irak. Pour cela, elles partent en Jordanie et y vivent pendant cinq à sept ans avec un statut de réfugié qui leur interdit de travailler. Après ce délai, les plus chanceuses reçoivent un visa pour un pays étranger (Australie, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, France…) tandis que les autres n’obtiendront jamais de papiers et cela parfois sans raison. Autant dire que fuir est un vrai parcours du combattant qui demande d’avoir financièrement beaucoup de ressources pour probablement aucun résultat. 

Les familles que nous visitons sont donc très seules. Elles ont choisi ou dû choisir de rester et ont tout perdu, se démenant pour payer leur loyer comme elles le peuvent. Toutes rêvent de fuir le pays et de mettre leurs enfants à l’abri. Nous nous sentons souvent bien impuissants face à leur détresse et essayons de donner le meilleur de nous-mêmes pour les soutenir. Je me souviens notamment d’Alan et Tony que nous avons visités et aidés matériellement il y a quelques mois. Ils vivent dans une caravane, sans électricité, sans chauffage, avec une bâche pour simple porte. Aucun d’eux ne travaille. Cette extrême pauvreté matérielle et psychologique nous a frappés de plein fouet et nous indigne sur la solitude que vivent ces hommes et l’absence de soutien de la part des Eglises ou de la ville. 

Passer Noël auprès des Chrétiens irakiens a été une grande joie. Nous avons assisté à la messe de Noël dans une paroisse chaldéenne d’Ankawa et avons chanté « Douce nuit » ou « Il est né le divin enfant » en arabe. Nous avons préparé environ deux mille pochettes cadeaux pour les enfants de paroisses à Erbil ou dans le nord du pays et les avons distribués ensuite personnellement en organisant des petites « fêtes de Noël » où nous avons préparé des centaines de crêpes (à la française !) et animé des jeux. 

Début janvier, après de longues semaines de négociation et de démarches, ma mission change soudainement car nous sommes envoyés à Badaresh. Quelle joie après toute cette attente ! Nous arrivons donc dans un tout petit village regroupant 45 familles chrétiennes au milieu des montagnes irakiennes, au nord du pays. Nous sommes à une demi-heure de Duhok, et à une trentaine de kilomètres de la frontière turque. Badaresh faisait partie des lieux où SOS Chrétiens d’Orient s’était implanté de façon permanente. Comme les autres, elle avait fermé en 2020 et n’avait pas réouvert depuis. C’est donc avec une grande joie et beaucoup de générosité que les habitants nous accueillent à nouveau.  

Le chef du village et son beau-frère nous prennent rapidement sous leur aile et mettent à notre disposition une maison inhabitée depuis trois ans. Nous la réaménageons avec beaucoup de fous rires et de passion car nous partons de rien : ni chauffage, ni évier, ni gaz, ni électricité ! On ne s’ennuie pas et on vit un peu comme en camping, dans la plus grande simplicité. Une simple bouilloire ou un frigo en marche peuvent faire sauter les plombs. Cela change radicalement du confort que nous avions à Erbil, mais les paysages, l’ambiance du village et surtout notre aide dans cette région en valent tellement la peine ! Nous tombons très vite amoureux du lieu et commençons le travail sans tarder. 

Nos activités dans cette région sont très manuelles. Nous construisons un terrain de foot et de jeux pour les enfants de Badaresh qui jouaient jusqu’alors dans la rue et n’avaient pas de parc. Ce projet, sollicité par les familles du village, permettra aux habitants de se retrouver, de faire jouer leurs enfants en toute tranquillité (plus de voitures ou de chiens errants à craindre dans les rues) et de faire perdurer la tradition des matchs de foot du dimanche après-midi !  

Nous lançons également un projet de rénovation de toits de maisons dans le village chrétien de Benata, à quinze minutes de Badaresh. Ce village est l’un des plus pauvres du coin et accueille notamment des familles de déplacés de Qaraqosh ou de Mossoul qui vivent avec presque rien. Les maisons sont en mauvais état et les toits ne sont pas imperméabilisés. L’hiver les murs et plafonds sont trempés à cause de la neige et de la pluie, l’été à cause des orages. 

Nous donnons aussi des cours d’anglais à Badaresh et Araden depuis cinq mois, tous les vendredis. Nos élèves sont âgés de 5 à 60 ans. Notre but est de dispenser les bases de la langue pour qu’ils se débrouillent à l’écrit comme à l’oral. Ici, tout est occidentalisé ! Beaucoup de produits, de marques, de pancartes sont écrits en anglais ; beaucoup d’entreprises demandent à leurs employés de parler anglais. L’enseignement des langues, proposé à l’école étant lacunaire, les parents nous ont rapidement demandé de donner des cours pour pallier au faible niveau. C’est parfois l’occasion pour nous d’améliorer notre anglais et notre accent (les Irakiens parlent anglais en roulant les R) ! 

En mars dernier une grande nouvelle tombe : l’ouverture d’un second lieu de mission à Ain Baqra, près d’Alqosh et Teleskuf. Nous emménageons dans une maison appartenant à la paroisse du village, avec pour voisins l’église à droite et un petit magasin à gauche. Nous sommes ravis de découvrir ce nouvel environnement au milieu des poules, des dindons et des champs de blé. Ce décor nous change des montagnes et des moutons de Badaresh et nous constatons encore une fois que les clichés des paysages arides et rocailleux de l’Irak ne se confirment pas vraiment, du moins au Kurdistan irakien.  

Malheureusement, après deux mois d’activités nous sommes contraints de fermer du jour au lendemain pour des raisons de sécurité. Quelle déception après tant d’investissement ! Nous disons au revoir à tous les enfants du village qui s’étaient clairement établis dans notre jardin et nous réclamaient des parties de foot ou de volley tous les jours. Heureusement pour tout le monde, après un mois et demi de démarches administratives, notre chef de mission nous annonce l’ouverture d’une nouvelle maison, à Teleskuf cette fois, nous permettant de reprendre les activités que nous avions commencées puisque nous restons dans la même région qu’Ain Baqra.  

J’ai eu la chance de pouvoir y passer quelques jours avant mon départ et l’ambiance du village y est incroyable ! Les habitants se souviennent de SOS Chrétiens d’Orient puisque les volontaires y vivaient de 2017 à 2020. Extrêmement reconnaissants du travail des anciens, ils nous ont accueillis comme des rois, en grande pompe. 

L’aventure, c’est l’aventure. En plus de toutes nos péripéties, nous avons vécu quatre mois sans chef de mission français, cas exceptionnel en attendant l’embauche du suivant, ce qui n’était pas de tout repos. Après plusieurs mois d’attente, nous sommes très heureux d’accueillir Grégoire Baudry, ancien volontaire en Irak en 2018 et 2019.  

A peine arrivé, il se met aussitôt au travail, ré-organise les postes et les équipes et reprend les projets en main. Rapidement, il organise un roulement de week-ends de cohésion toutes les deux semaines, ce qui nous permet de nous retrouver tous ensemble entre les différentes maisons, et de découvrir un lieu mythique du pays : le monastère de Mar Matti, la citadelle et le souk d’Erbil, le vieux village et le musée d’Alqosh…  

Il y a quelques semaines nous étions justement à Alqosh, en union avec les pèlerins de Chartres, pour le pèlerinage de Pentecôte à l’irakienne. On est bien loin des 120 kilomètres en trois jours, ici seulement 2 kilomètres parcourus en une heure (ne pas oublier que ce sont des Irakiens hein, ils ne marchent jamais plus de 200 m sans voiture !). Petit détail pas des moindres : il faisait très chaud (35° à l’ombre) et nous étions 240 au total avec peu d’eau pour un tel nombre. Nous pensions qu’ils ne seraient pas nombreux à venir puisque le concept du pèlerinage est totalement étranger aux Irakiens, mais finalement des dizaines de voitures et deux cars ont débarqué, à notre plus grande surprise. Nous avons chanté et prié en arabe et en français, et épaté les Irakiens avec quelques chants polyphoniques. Tous voulaient nous prendre en photo, c’est tellement rare de voir des Français chez eux ! En fin de compte le pèlerinage était très réussi et la mission en fera très certainement une tradition chaque année. 

Et que dire des volontaires ? Des dizaines de Français ont défilé depuis mon arrivée, des amitiés incroyables que je ne pourrai jamais oublier ! Notre colocation ressemble à une grande famille dans laquelle chacun a sa place et ses responsabilités.  

Nous vivons cette mission pleine de péripéties, de grandes joies et de contrariétés tous ensemble avec beaucoup d’entraide et de soutien. C’est si dur de voir les uns et les autres rentrer en France au fur et à mesure des mois et de passer d’un mode de vie où nous vivons les uns avec les autres au quotidien, à un mode de vie occidental où chacun repart chez soi… Les appels réguliers des « anciens » de la mission, nostalgiques de leur périple irakien, nous témoignent de la difficulté de rentrer après plusieurs mois de folie à l’autre bout du monde.  

Au moment où j’écris ce texte, seulement quelques heures me séparent de mon retour en France. Le bilan ? C’était et restera une des plus folles expériences de ma vie ! J’ai beaucoup appris, humainement, spirituellement et culturellement parlant. Certains jours j’oubliais ma vie française. J’avais le sentiment d’avoir toujours vécu en Irak tant les coutumes, la langue, les paysages étaient devenus familiers. Impossible alors de retourner indemne en France ! Impossible d’oublier les histoires de ces Irakiens marqués par la guerre, les péripéties humaines de la mission, les très longues et passionnantes discussions avec les volontaires, les fêtes de Noël et de Pâques passées au milieu des habitants d’Ankawa ou d’Alqosh, les montagnes de Badaresh enneigées, les soirées danse avec toute l’équipe, les projets dans les villages… Est-ce que ça valait la peine de tout quitter pour partir à l’aventure ? Plutôt deux fois qu’une !! 

  

Prends Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté. Tout ce que j’ai et tout ce que je possède. C’est toi qui m’as tout donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi seulement de t’aimer et donne-moi ta grâce, elle seule me suffit.” Saint Ignace de Loyola 

Rose, volontaire en Irak.

Votre responsablede pôle

Iseult Béchaux

Responsable des volontaires

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