Jeudi 13 août 2020, une chaleur écrasante s’abat sur moi dès ma sortie de l’aéroport du Caire. Assailli par des personnes me proposant un taxi, je vais à la rencontre de George, un traducteur de SOS Chrétiens d’Orient et de Jérôme, le chef de mission. Dès lors, me viens une question qui me restera dans la tête durant ma première semaine de mission : « Qu’est-ce que je fais ici ? »
Je dois bien avouer que mes premiers jours au Caire furent assez difficiles. Je devais apprivoiser mon nouvel environnement et mes nouveaux camarades. Heureusement, l’association est comme une seconde famille et les rencontres que j’ai faites m’ont presque fait oublier mes soucis avec la nourriture locale.
La réponse à ma question se fit en deux étapes : tout d’abord, lors d’une donation dans le quartier de Matarya, puis lors de ma première « maraude ». Dans les deux cas, je fus confronté à la réalité dénuée de filtre, à la souffrance pure. Ma rencontre avec une fillette borgne, souffrant d’un cancer m’a fait l’effet d’un électrochoc. Quand on est habitué à un accès au soins gratuit, efficace et systématique, voir une personne sans globe oculaire, seulement avec un bout de plastique ayant la forme d’un œil, mal posé sur le visage peut faire froid dans le dos.
Et la même sensation me parcourut quand en virée en voiture tard le soir, je donnais des repas aux personnes dormant dans la rue et aux chiffonniers qui travaillent sur les routes toute la nuit.
Sac après sac, je découvre une autre réalité, loin des pyramides, du Four Seasons et du quartier des ambassades souvent targués aux touristes. Le Caire, ce sont aussi des mères seules avec plusieurs enfants en bas âges au beau milieu de la nuit, des corps décharnés, usés par la température, la faim, la pollution, la saleté et la peur des autres.
C’est ainsi, que je distribue mes quatre derniers repas, pour des sans-abris cachés dans la pénombre d’un arbre, au coin d’une rue. Je ne distingue qu’une masse uniforme et peu à peu plusieurs personnes apparaissent : une femme ouvre les yeux dans l’obscurité. Je découvre alors une famille de trois jeunes enfants, horriblement maigres et qui n’arrivent quasiment plus à parler. C’est à ce moment précis que j’ai compris que ce que je faisais en Egypteétait utile. Depuis, cet évangile selon Saint Luc me revient lors de chaque maraude : « Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous » Luc 6, 20-26
Ils n’ont rien, ils donnent tout et semblent les plus heureux du monde ! Nous partons pour donner mais ce sont eux qui nous donnent le plus. Même dans la pauvreté la plus extrême, ils continuent de donner.
Le docteur Adel Ghali, grand ami de SOS Chrétiens d’Orient, en est le parfait exemple. Vivant dans la plus grande simplicité, ayant donner la plupart de ses propres vêtements à « ses frères et sœurs », il fait office de véritable Saint vivant. Après trente années aux côtés de Sœur Emmanuelle dans les bidonvilles cairotes, malgré ses 72 ans, il continue à nous accompagner lors de nos donations dans les quartiers les plus pauvres du Caire et lors de nos visites des lieux Saint en Egypte tels que l’Arbre de la Vierge ou encore à Notre-Dame de Zeitoun, où, à partir de 1968, la Sainte Vierge Marie est apparue à des milliers de personnes, chrétiens comme musulmans, pendant plusieurs années.
Ma rencontre avec le Docteur m’a permis de comprendre qu’il ne donne pas seulement des choses matérielles au plus démunies mais aussi de la Foi, de l’amour et du réconfort.
Le docteur Adel a grandement contribué au sentiment de fierté que j’ai ressenti durant ma mission. Avec Sœur Maria, Mère supérieure de la Congrégation des Filles de Marie et directrice du centre Salam dans le bidonville d’Ezbet El-Nakhl, ils m’ont permis de rentrer dans un projet plus grand que moi, celui qu’a initié Sœur Emmanuelle en 1971 et ce, à travers des donations de colis alimentaires.
Ainsi, deux jours après mon arrivée en Egypte, je participe avec le Docteur et Sœur Cana, à une donation de 120 colis alimentaires remplis de denrées non périssables de première nécessité. Malgré son âge, aucun répit ne lui est accordé. S’énervant souvent contre les personnes trop pressantes ou qui essayent d’obtenir de la nourriture en plus, il se retourne vers nous, et avec un grand sourire, nous déclare : « Il faut s’énerver contre ses personnes là sinon ils ne comprennent pas ! » Mais nous comprenons immédiatement que ce n’est pas de la colère mais de la tristesse qui s’empare de lui à chaque fois.
Comment expliquer à ses frères et sœurs que certains ne pourront pas avoir de nourriture ? Ou encore comment protéger ceux qui sont le plus dans la misère de certains autres sans scrupules ?
Qu’ils soient chrétiens de naissance, convertis, abandonnés ou ayant une famille nombreuse à nourrir, ils sont tous considérés de la même façon et traités avec le même amour sans limite.
Riche de relations étroites avec toutes les congrégations religieuses du Caire, le Docteur Adel est aussi celui qui nous a permis de faire la connaissance de celles qui travaillent dans l’ombre avec une dévotion exceptionnelle notamment dans les orphelinats.
Dans ces lieux où les enfants sont protégés des affres de la rue, je découvre des jeunes, rieurs et innocents, que la réalité n’a pas encore rattrapée.
C’est très dur de voir un enfant dans la rue dès ses cinq ans, encore plus lorsqu’il doit travailler comme un adulte pour aider sa famille et enfin déchirant, quand je me rends compte que ses chances de sortir de ce quotidien infernal sont quasiment nulles.
A l’école de Miss Marlène situé dans le bidonville d’Ezbet El Nakhl, une multitude d’enfants de tous âges répartis en différentes classes, peuvent échapper aux dures réalités de ce quartier du Caire. Cette école très chère aux yeux de tous les volontaires de la mission, est tel un phare au milieu de récifs. Après les cours de français et de liturgie, lorsque nous montons sur les toits dont la vue donne sur le bidonville, nous assistons impuissants à un spectacle désolant : celui des enfants au milieu de déchets avec leur famille, tentant de dénicher quelques précieux détritus qu’ils pourront revendre afin de manger.
Par contraste, voir tous ces enfants dans les orphelinats des sœurs remonte grandement le moral et donne l’espoir pour tous ceux que j’ai croisé.
Cette mission fut à la fois une prise de conscience sur la société française mais aussi un pont vers une spiritualité encore plus forte, notamment grâce aux rencontres avec les amis de l’association, les traducteurs, les bénéficiaires, mes camarades volontaires mais aussi à la présence du Père Hervé Du Plessis qui nous a accompagné durant ma première semaine.
Priant souvent la Sainte Vierge Marie d’être ma lanterne sur le chemin de la vie, j’ai été comblé de réponses et suis animé d’une envie de poursuivre ce que j’ai initié pendant ce mois et demi de mission tant par attachement à ce pays, que par les personnes que j’y ai rencontrées.
Après avoir rencontré bon nombre de nos frères et sœurs chrétiens dans des quartiers si pauvres que l’on préfèrerait fermer les yeux en passant devant, je me sens motivé pour les aider plus longtemps et partager leurs vies pendant quelques semaines supplémentaires.
Pierre-Marie, volontaire en Egypte.
Responsable des volontaires