Me voilà de retour en France après 11 mois au Liban. Entre les ruines de Beyrouth et la tranquille maison de campagne, la contraste est surprenant. J’essaie encore de mettre de l’ordre dans mes idées après cette année bien remplie sous le soleil du Liban qui s’achève sous une petite pluie en Bretagne.
Ces dernières semaines ont été particulièrement mouvementées. L’explosion du port de Beyrouth nous a plongés sans prévenir dans une situation d’urgence qui dure encore aujourd’hui. Cette fin de mission que je prévoyais calme fut en réalité extrêmement intense, les semaines les plus éprouvantes de mon séjour. Les volontaires couraient à droite à gauche, en quête de personnes à aider. Le soir, ils revenaient sales, épuisés d’avoir porté tous ces sacs de verre, de débris dus à l’explosion.
Depuis le bureau de Beyrouth, le chef de mission et moi-même devions organiser les opérations d’urgence et nous assurer que pas une journée ne passe sans que les volontaires ne participent au nettoyage de la ville. Nous cherchions notamment les personnes ayant le plus besoin d’aide.
Sur le terrain, les associations se bousculaient en beaucoup de lieux. Une vaste désorganisation que cette aide humanitaire apportée par des dizaines d’associations non coordonnées. Certains chantiers de nettoyage étaient rapidement saturés d’équipes de toutes les couleurs venues nettoyer les débris. Les rues ressemblent désormais à un vaste marché de plein air avec toutes ces tentes alignées les unes à côté des autres sous lesquelles sont abrités les QG de diverses ONG.
Depuis le 17 octobre, qui marque le début de la « révolution », le pays ne cesse de s’enfoncer toujours plus profondément dans une situation économique et politique que beaucoup considèrent comme sans issue.
SOS Chrétiens d’Orient m’a d’abord envoyé au sud du pays dans un village appelé Rmeich, puis au nord-est, sur la frontière syrienne à Qaa avant de me rapatrier à Beyrouth le 17 avril, quand le pays a été confiné.
Que ce soit dans les collines du sud, dans la plaine de la Bekaa ou dans les rues de Beyrouth, les chrétiens que nous rencontrons parlent pour beaucoup de partir. Nombreux sont ceux qui n’ont plus d’espoir et cette explosion est venue balayer la bonne volonté des plus solides. Désormais, énormément de jeunes qui envisageaient encore de rester souhaitent « quitter ». Personne ne pense que le Liban est au bout de ses peines. Nous anticipons tous une crise plus violente encore l’année prochaine. Dans les mois qui arrivent, la présence de l’association sera plus nécessaire que jamais.
Dans les difficultés actuelles, les Libanais présentent souvent un beau témoignage de foi. Ce petit pays possède une richesse historique incroyable que l’on retrouve chez ses habitants. Régulièrement nous rencontrons des Libanais avec des histoires improbables et édifiantes dont certaines vous feront croire en Dieu. Comme à Jdeideh, dans le nord de la Bekaa, où les volontaires ont la chance de pouvoir travailler avec le père Jean, qui mène un projet fou de sanctuaire au milieu de la plaine. C’est avec lui que nous avons creusé une grotte qui accueille désormais une chapelle. Pendant des heures, nous nous occupions chaque semaine de l’évacuation des seaux de pierre. L’un à la poulie, qui les sortait du trou pendant qu’un autre faisait des allers-retours entre lui et ceux qui creusaient. Le tout dans une grotte mal aérée par un ventilateur posé au milieu du chemin pour faire circuler l’air. La grotte étant finie, les volontaires travaillent désormais dans le potager du père qui permet de nourrir des familles pauvres. Il se retrouvent entre 4h et 6h du matin pour ramasser les légumes toute la matinée.
Terminée dans Beyrouth dévastée, ma mission a commencé dans les oliveraies au sud du pays où nous aidions les locaux à récolter. Sur place, nos journées étaient rythmées par des cours de soutien scolaire en français, des jeux avec les enfants et la cueillette d’olives. Avec la fermeture précipitée des écoles à cause de la « révolution », le travail avec les enfants prenait fin. Nous nous concentrions alors sur les activités agricoles.
J’avais l’impression d’être dans une parabole quand nous étions dans ces jardins d’oliviers dont j’avais toujours entendu parler dans les évangiles sans les avoir jamais vus.
Le soir, nous allions à la messe maronite vers 18h dans le cœur du village. Célébrée en arabe, elle nous aurait totalement échappée si nous n’avions pas eu à disposition les carnets réalisés par SOS Chrétiens d’Orient qui nous permettaient de suivre. Avec le temps on finit par la connaitre par cœur. C’est donc dans un été indien à la frontière de la Terre Sainte que j’assistais pour la première fois à une messe orientale et que je découvrais les paysages bibliques. Là-bas, l’église n’est jamais vide, quel que soit le jour de la semaine. Je crois bien que c’est ainsi que j’ai réalisé et respecté la ferveur des maronites. C’est également là-bas que j’ai commencé à observer les difficultés qui minent le pays. Deux jours après mon arrivée dans le sud commençait la « révolution » qui n’a pas cessé. Les problèmes politiques et économiques étaient de plus en plus évidents et l’inflation entamait sa lente progression.
Trois mois plus tard, je fus envoyé à Qaa, dans le nord-est, cette fois à la frontière syrienne. J’y retrouvais quasiment les mêmes problèmes dans un décor différent. Le travail des volontaires n’en est pas affecté et les activités se ressemblent malgré tout.
En charge des activités de la mission sur place, j’ai alors découvert plus en profondeur l’organisation à la libanaise qui après un an passé là-bas arrive toujours à me surprendre. Les règles semblent être davantage des directives que de véritables obligations. En général on observe une grande spontanéité. Celle-ci est très agréable quand il s’agit du sens de l’accueil, mais plus compliquée à gérer pour mener une activité professionnelle. Autre chose, la notion du temps, qui a pour moi atteint son paroxysme le jour où un ouvrier m’annonça à 9h du matin qu’il serait là dans une demi-heure avant d’arriver à 18h…
Avec le confinement, tous les volontaires sont rapatriés en France à l’exception de 4 d’entre nous qui se retrouvent alors confinés à Beyrouth. Je n’avais pas prévu cela en partant mais c’est malgré tout intéressant. Nous pouvons ainsi travailler en profondeur sur l’organisation de l’association afin de faciliter les missions des futurs volontaires.
A l’issue du confinement, je suis nommé secrétaire général de la mission. C’est sûrement la responsabilité la plus intéressante qui m’ait été confiée durant mon séjour. Aux côtés du chef de mission, je dois participer à la gestion de la comptabilité, des volontaires et des activités. L’occasion pour un volontaire de passer d’un lieu de mission à l’autre, d’assister à des rendez-vous, de travailler avec la Direction des Opérations à Paris et de participer à la prise de décision pour l’organisation de la mission.
Etabli à Beyrouth, je prenais mes pauses chez Rabia, un commerçant du coin, devenu ami de l’association. Dans sa petite supérette, collée à une station essence, nous nous reposions et discutions avec les amis du quartier qui passent par là. Certains se sont retrouvés au chômage avec la crise économique. Depuis, ils passent leur temps libre dans la rue, à attendre de rencontrer leurs amis chez Rabia, l’épicier du coin, ou à la station essence.
Je m’y trouvais justement lorsque le port a explosé, soufflant les vitres de la supérette et nous laissant tous interloqués au milieu des éclats de verre. Il ne manquait vraiment plus que ça. Avec les crises que traverse le pays, on s’attendait à tout mais pas à ça. Beaucoup parlent de guerre civile. Mais une telle explosion, personne ne l’imaginait. On sent aujourd’hui le désespoir chez beaucoup de personnes. Ils envisageaient toute sortes de fins malheureuses à la situation désastreuse et malgré cela, ils ont encore été pris par surprise. Cette explosion arrive comme un message leur disant : « Détrompez-vous ! Ça peut toujours empirer et dans des proportions que vous n’imaginiez pas. »
Quand j’annonçais mon départ aux Libanais, ils me disaient que je les avais rejoints à une période bizarre. Crise économique, Coronavirus, destruction du port,… Que ce soit sur le plan spirituel ou professionnel, ce passage au Liban m’aura appris beaucoup de choses. De la découverte de la spiritualité orientale à la gestion de projets et d’équipes ainsi qu’aux activités sur le terrain dans des champs, une grotte, des écoles… Tout cela malgré cette année improbable qui a chamboulé nos plans à plusieurs reprises : la révolution, le coronavirus et finalement l’explosion du port … Difficile de s’organiser !
Je repars avec de nombreux souvenirs. Le plus libanais d’entre eux que j’ai vu dernièrement étant un vieux conduisant sa voiture en levant le pif pour voir au-dessus de son volant, à contresens au milieu d’une voie rapide. C’était probablement un raccourci efficace…
Hadrien, volontaire au Liban.
Responsable des volontaires